Hamlet maudit le sort qui l'a fait naître dans un temps désajusté, à une époque qui marche de travers (The time is out of joint). Pourquoi lui reviendrait-il à lui de remettre de l'ordre dans ce temps détraqué? Pourquoi porterait-il, lui, cette charge de devoir rendre justice au nom de son père? Pourquoi devrait-il venger une faute qu'il n'a pas commise [c'est son père qui a tué, sa faute est ouverte, béante, mais ce n'est pas la sienne, puis c'est son père qui a été tué, pas lui]? Cette mission lui est assignée du simple fait de sa naissance. Il est né en vue du droit. C'est une malédiction, une injonction à laquelle, en tant qu'héritier, il doit répondre. Mais cela ne signifie pas qu'il n'aie aucun choix. Dans un temps anachronique, l'héritage est hétérogène. La voix du spectre qu'il vient d'entendre au bord de la tombe n'est pas simple, univoque. Elle fourmille de contradictions. Sa responsabilité à lui, Hamlet, c'est de répondre comme il l'entend. Il discute avec les différentes voix du spectre, il s'entretient avec elles, et finalement il s'engagera à sa façon, singulière.

Ce qui vaut pour Hamlet par rapport à son père vaut aussi pour nous par rapport à Marx (entre autres) : son héritage, à lui aussi, est hétérogène.