Dans les dernières pages de son livre, Politiques de l'amitié, Jacques Derrida revient sur la question du frère. D'un côté, il affirme ne rien avoir dit contre le frère ou contre la fraternité. Médire d'eux ou les maudire, protester contre eux, ce serait appartenir à leur histoire [phallique, logocentrique, familiale ou ethnique]. Or ce n'est pas dans cette appartenance-là qu'il s'inscrit, ce n'est pas dans cet amour-là [l'amour assermenté des frères unis dans la mémoire des pères], ni dans cette histoire qu'il qualifie d'obscure, ni dans une contestation de l'humanisme qui pourrait conduire au pire (la tentation du crime, du fratricide), qu'il avance. S'il y a plus d'un frère qu'il aime, chaque fois unique, peut-on dissocier cet amour des figures classiques homofraternelles, religieuses ou philosophiques, de l'ethnie, de la famille, de l'androcentrisme? Peut-on réaliser dans l'histoire un autre concept de l'amitié (celui qu'il a développé dans ce livre) où la démocratie serait mise en oeuvre autrement? Peut-on à la fois rester fidèle à la raison démocratique des Lumières et s'ouvrir à un avenir qui est aussi un abîme, celui d'une démocratie qui promette une autre égalité respectueuse, sans concept, dont l'essence serait d'être indéfiniment perfectible?