Il est possible que Heidegger, dans toute son oeuvre, n'ait jamais parlé de sexe - en tout cas pas directement, sous ce nom-là. De ce côté-ci de l'homme ou de la femme, il n'y aurait rien qui soit digne de question, rien qui puisse importer pour la pensée de l'être. Que la biologie, l'anthropologie, la sociologie, la biologie, la science ou la sociologie s'en occupent! Dans un siècle où la sexualité est le lieu de tous les débats et même des combats, dans un siècle où l'on peut dire que tout est sexuel, Heidegger reste muet. Que dire de cette omission? Y a-t-il dénégation, refoulement, forclusion, impensé? La sexualité et le désir n'appartiendraient-ils pas à la structure du Dasein?

Quand, dans le cours de Marburg (été 1928), Heidegger justifie le choix du mot "Dasein", il explique que ce mot est plus neutre que celui de "Mensch" (homme). Puisque l'étant questionnant n'a de rapport qu'avec son essence propre, aucune détermination ne doit venir brouiller son rapport au soi et à l'être. Il faut neutraliser l'anthropologie, comme l'éthique et la métaphysique. En outre Heidegger précise : le Dasein n'est d'aucun des deux sexes ("keines von beiden Geschlechtern ist") Il faut écarter la différence sexuelle, celle-ci étant ici désignée par le mot Geschlecht. Mais cette Geschlechtslosigkeit ne doit pas être confondue avec une absence de sexualité. En effet, bien que le Dasein ne soit pas bisexuel, une sexualité, plus originaire que la bisexualité, s'y déploie.