Dans la fraternité, ce qui unit les frères est la mémoire des morts. Leur patrimoine commun, originaire, c'est cette mémoire, ce deuil politique. Pour dire qui ils sont, ils commencent par instituer un monument. La seule liberté pensable pour eux, la seule nécessité, ce qui fait sens dans leur monde, c'est ce rassemblement autour des spectres des ancêtres morts, cette promesse de fidélité qui favorise dans leur discours le genre de l'épitaphe ou de l'oraison funèbre. Pour qui est lié par ces figures, il n'y a pas de possibilité de décision véritable, d'arrivance imprévisible ou d'hospitalité à l'égard de l'étranger - sauf s'il arrive, par accident ou par chance, une effraction dans la politique fraternelle. Les frères sont liés par la nécessité, dont ils ne peuvent pas s'émanciper.

Mais il s'agit, dit Derrida, d'une amnésie. Les frères ont oublié la possibilité de l'arrivant absolu, cet arrivant qui se cache au coeur même de leur acte de mémoire. En déconstruisant cette généalogie, celle de la démocratie ou du politique grecs, on peut donner l'occasion d'un retour des singularités cachées ou encryptées par la politique fraternelle.