Pour qu'il y ait don, explique Derrida dans Donner le temps, il faut que ce don soit absolument oublié, que le donateur et le donataire n'en gardent aucun souvenir, aucune mémoire. Il en est de même pour la circoncision : elle est oubliée, même si une trace en reste dans le corps. La circoncision de la langue n'est pas spécifique aux juifs, elle est universelle. Du simple fait que nous parlons, nous nous trouvons dans l'impossibilité de nous réapproprier cette langue qui nous a été donnée. Elle nous précède, elle commande notre pensée. Celui qui donne ne sait pas qu'il donne, tandis que celui qui reçoit ne sait pas qu'il reçoit. Cette incertitude est la marque de l'être-juif, qui est d'être à la fois singulier et universel, de ne pouvoir s'arrêter sur aucune identité stable. L'alliance de la circoncision est paradoxale (coupure/appartenance), dissymétrique (fini/infini). De même que le don suppose l'impossibilité de sa réappropriation, la langue suppose l'impossibilité pour le cercle de se refermer (on ne peut pas rendre le don de la langue). La chaîne ne s'arrête jamais, ce sont des notions auxquelles on ne peut assigner aucune identité.