La séparation du Même se produit sous les espèces d'une vie intérieure. Le psychisme ne fait pas que refléter l'être, il est une manière d'être, une résistance à la totalité et à l'idée de l'infini. La mémoire ou la pensée sont des phénomènes invraisemblables, car ils précèdent leur cause.

La séparation est produite par la pensée. Celle-ci se produit seule, l'espace d'un instant de pleine jeunesse, un instant d'insouciance, de liberté et d'athéisme, avant de découvrir après-coup qu'elle est dans un lieu, qu'elle est déterminée, avant d'accueillir cet Avant, de s'offrir à un regard qui la conçoit, un regard qui l'intègre dans un tout. Mais l'être ne s'y intégrera à la totalité qu'une fois mort - chez les survivants qui en raconteront l'histoire. La vie lui laisse un quant-à-soi, un ajournement.

L'intériorité comme telle est un rien, une pure pensée. C'est un événement absurde, un non-être où tout est possible, y compris d'avoir un destin à lui et d'assumer par la mémoire un passé reçu comme une fatalité. Mais l'intériorité refuse de se transformer en pur passif, elle refuse de devenir "rien que passé". Elle préserve un secret.

La séparation du Moi à l'égard de l'Autre résulte d'un mouvement positif. Elle n'est pas le réciproque de la transcendance de l'Autre à l'égard de moi, mais découle d'une expérience morale. Ce que je me permet d'exiger de moi n'est pas ce que je suis en droit d'exiger d'autrui. L'asymétrie est radicale. Je ne peux pas me voir du dehors, je ne peux pas oublier l'expérience intersubjective. Elle est inescamotable, même en science.