Evoquant le mouvement de la différance dans l'œuvre d'Antonin Artaud, Jacques Derrida utilise deux fois la formule "l'essence même". L'identification magique à son propre passé, à sa présence à soi, serait "l'essence même" de la magie (p289); et son projet de destruction ou de réduction de l'œuvre serait "l'essence même" de la folie (p290) [un renvoi à l'absence d'œuvre de Michel Foucault]. Magie et folie, chez Artaud, resteraient liées à une "métaphysique de la vie inaliénable et de l'indifférence historique". En d'autres termes, le théâtre de la cruauté, en tant que magie ou folie, appartient, irréductiblement, à l'histoire de la métaphysique occidentale. Dans le même mouvement, il déclare sa destruction et la préserve. En dénonçant l'aliénation, il en souligne la nécessité; en soulignant ses propres motifs (désir irréductible de présence pleine, unité, identité à soi, propre), il affirme son appartenance.

Cela n'est pas sans effet sur l'expérience critique. En faisant venir à la conscience la loi cruelle de la métaphysique, même s'il est incapable de penser la différance comme telle, Artaud invite le critique à passer de l'autre côté de la limite.