Derrida
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de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, la cendre                     Derrida, la cendre
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 13 mai 2020 Orlolivre : comment ne pas meurtrir?

[Derrida, la cendre]

Orlolivre : comment ne pas meurtrir? Autres renvois :
   

Derrida, la Shoah

   
   
                 
                       

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Il y a là cendres, Derrida a insisté sur cette phrase écrite en décembre 1971 pour la publication en livre, dans La Dissémination (1972), du texte éponyme La Dissémination dont la première version avait été rendue publique en 1969 dans la revue Critique sans cette phrase en plus, en expicit. En 1971, à la fin de cette mise en abyme, à la fin du livre et de l'article, il fallait rendre hommage ou gloire aux auteurs cités, réduits en cendres (quoique toujours vivants). Il ne restait que leurs noms, voire moins encore, car celui de Philippe Sollers avait disparu. Cette phrase, écrit Derrida en 1987 dans le prologue d'un autre texte publié sous le titre Feu la cendre (mais dont il avait conçu le principe dès 1980), s'est imposée à lui avec l'autorité d'une sentence dont il ne pouvait pas empêcher la venue, la survenue. Entre les deux dates, il a évoqué la cendre dans Glas (1974), La Carte postale (courriers envoyés de 1977 à 1979, publication en 1980), Télépathie (texte paru pour la première fois dans Furor n°2 en 1981, sorte de supplément à La Carte postale), Schibboleth, pour Paul Celan (analyse d'un autre poème de Paul Celan datée de 1984, livre publié en 1986). Ce choix de revenir sur la poésie celanienne marque une autre dimension de la cendre : les restes des corps incinérés pour lesquels Celan a écrit le poème Gloire aux cendres (l'une des traductions possibles de Aschenglorie) que Derrida commentera plus tard, en 2000, dans Poétique et politique du témoignage. La question de la cendre, comme celle de la Shoah, si elle n'est pas toujours explicitement mentionnée dans les textes de Jacques Derrida, habite toujours sa pensée.

 

1. Trace ou pas trace.

La cendre, comme objet, est une trace, la trace d'un feu. Il y a toujours en elle un reste que la science peut étudier, analyser, mais quand Derrida utilise ce mot, cendre, il ne s'agit pas de l'objet, il s'agit du mot, qui se trouve alors chargé de plus d'une polarité(s), plus d'un sens ou d'un poids théorique.

- d'un côté, du côté de l'être, la cendre est lue comme une trace qui renvoie à un passé dont il faut se souvenir, faire son deuil. Il y aura eu un événement, un holocauste (sacrifice par le feu), un geste de destruction qui exige une réparation ou une interprétation : connaître ce geste, reconnaître l'événement, le commémorer, le célébrer. La cendre n'est pas qu'une cendre, c'est un monument qui nous a été donné, porteur d'une dette dont nous devons accepter la charge. Pas de fumée sans feu, dit-on, ni de cendre. Même de la fumée il faut se souvenir, il faut dire quelque chose.

- d'un autre côté, au-delà de l'être, la cendre porte une toute autre signification. Cette cendre-là n'est pas un monument, elle ne porte aucune mémoire, son destin est l'errance. Ce dont elle témoigne est devenu illisible, perdu, dispersé sans espoir de retour. On n'aura rien pu en garder, il n'en restera rien qui puisse revenir à une personne. Elle n'acceptera ni signature, ni appartenance, ni réception. On n'en saura jamais rien, on ne pourra absolument rien en dire - rien n'aura eu lieu, ce sera le lieu pur du rien.

La phrase Il y a là cendre porte les deux significations : la cendre (objet), là cendre (lieu sans lieu). Il faut vivre avec cette incertitude.

 

2. L'essence de la cendre.

Quand, , il y a cendre, qu'est-ce qu'il y a ? Il est significatif que Derrida réponde d'abord négativement. La cendre même, ce n'est pas la cendre elle-même, celle qui resterait proche de ce qu'elle est, identique à soi, auprès de chez soi, avec un article au féminin singulier (la = l'unicité, le concept). Son essence, c'est qu'elle se disperse, se dissémine et finisse par s'effacer : la cendre de la cendre. Cet effacement la démultiplie. Derrière Il y a cendre, il y a l'autre phrase prononcée de la même façon : Il y a cendres, un pluriel innombrable encore moins rassurant. Les cendres sont chaudes, elles couvent un feu qui peut toujours repartir et effacer ce qui resterait encore, avant de se retirer pour laisser à la cendre sa place. La consumation de la cendre n'est pas un anéantissement, elle laisse une multiplicité dont on ne sait rien. C'est le risque de l'incinération : en escamotant le cadavre, elle infinitise le deuil.

Comment faire son deuil de ce dont on ne peut rien dire ? Pour ce qui le concerne, Derrida refuse de s'engager dans cette voie. S'il y a de la cendre, c'est qu'il y a de la trace, mais ce qui survit n'est pas la trace, c'est le mot. Le mot cendre a un sens, des sens multiples, il peut porter des mensonges ou des secrets chiffrés, indéchiffrables. Il n'y aura pas de tombeau de la cendre. C'est impossible, interdit - et d'ailleurs, le choix qui a été fait après son décès, ce n'est pas l'incinération, c'est l'inhumation.

 

3. Au-delà de l'être.

Qu'arrive-t-il quand le deuil est impossible ? On ne peut mettre en place aucun bouclage de l'être. Certes il y a une source, un Quoi, un Qui, une dette, certes la cendre aura été donnée, mais ce don ne conduit à aucun échange, aucune restitution. Son origine ne serait qu'une hallucination, une semence de rien. Quand plus rien n'est gardé, ni reste, ni mémoire, ni parole, quand il n'y a plus rien à dévoiler, quand la cendre n'est plus rien qui soit au monde, alors s'ouvre une autre problématique proche de celle de la théologie négative. La cendre est le nom de l'être qui, en se donnant, n'est rien. Au-delà de tout ce qui est, on ne sait plus dire ce qu'elle nomme.

 

4. La Shoah.

Impossible de dissocier la cendre, dans toutes ses significations, de cet événement inoubliable. Mais comment en parler ? Comment avoir le courage de publier à ce sujet ? Derrida n'a jamais écrit aucun livre sur la Shoah, mais cette question n'a jamais cessé de le hanter. On peut (et il faut) analyser toutes les circonstances de l'événement, mais le deuil est impossible et les cendres irréversiblement dispersées. Le risque d'une publication aurait été qu'elle fasse tombeau, monument - alors qu'aucune archive de ces morts ne pourrait suffire. Ce qui reste à faire (l'impossible), c'est dire les mots qui la nomment (par exemple holocauste, four crématoire) dans toutes les langues du monde [et pour tous les mondes qui, incinérés, ont irrémédiablement disparu].

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Propositions

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"Il y a là cendre" : une phrase indécidable, imprononçable, un appel silencieux qui parle avant sa propre voix

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Ne pas rester auprès de soi, ne pas être à soi, voilà l'essence de la cendre, sa cendre même qui n'est pas la cendre elle-même, mais la cendre de la cendre

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La cendre se doit à un sacrifice, un don, elle prend place comme trace dont il faut faire son deuil

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Même sans reconnaissance de dette, sans savoir de quoi ou de qui, la cendre vient à la place d'un don

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On ne sait rien de la cendre, cette chose qui se destine à une dispersion sans retour, la mémoire perdue de ce qui ne se garde pas, ne reste pas et ne revient à personne

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"Il y a là cendre", c'est l'aveu d'un non-savoir sur la trace, et aussi le refus d'un travail de deuil qui compenserait et annulerait cet aveu

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Aporie de l'incinération : en escamotant le cadavre, elle favorise l'intériorisation du mort, elle infinitise le deuil

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N'étant rien qui soit au monde, le nom "cendre" peut, en se donnant, ouvrir à l'au-delà de l'être

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Sur la cendre, la seule publication qui, peut-être, serait digne, ce serait celle qui dirait "holocauste" et "four crématoire" dans toutes les langues du monde

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Feu la cendre (Jacques Derrida, 1987) [FeuLaCendre]

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"Schibboleth, pour Paul Celan", par Jacques Derrida (1986) [Schibboleth]

 


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