Dire qu'Il y a là cendre, c'est définir autrement la trace. Derrida tend à abandonner le paradigme (classique) de l'empreinte, du frayage ou du sillage dans la mer pour un autre paradigme : la cendre. La cendre reste, mais sans rester. C'est ce qui reste d'un effacement, d'un incendie. Elle se perd "jusqu'à la cendre de ses cendres". Il y a pourtant une mémoire du feu, les cendres peuvent être encore chaudes. On l'écrit, on la met en lettres, en langage, en mots. Elle a disparu, mais il reste son nom, qui "est une cendre encore de la cendre elle-même", et il reste aussi une phrase que l'on peut toujours écrire : Il y a là cendre. La cendre même est à la fois dispersée et gardée, mais la phrase peut survivre, elle peut survivre comme invention attribuée à un signataire, dans l'ignorance de ce qu'il "voulait dire" qui était peut-être un mensonge ou un secret chiffré, indéchiffrable. On ne peut rien en savoir, on ne peut en faire aucune exégèse. L'écrivain Derrida (quand il dit "je") y voit "le tombeau d'un tombeau, le monument d'une tombe impossible-interdite".

La Soufrière (Werner Herzog, 1977). (après l'éruption).

Quelle tombe ? Impossible car on ne peut pas faire son deuil de la cendre, et interdite car Derrida (le "je") s'y refuse, il se l'interdit. L'allusion ici, explicitée à la fin de ce passage, est tendue vers la Shoah. Le deuil de la cendre est impossible et en outre, à cause de cette mémoire intenable, il est interdit.