Derrida
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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, le génie                     Derrida, le génie
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 9 mars 2015 Derrida, performativité inouïe

[Derrida, le génie]

Derrida, performativité inouïe Autres renvois :
   

Derrida, l'invention

   
   
Orlolivre : comment ne pas œuvrer ? Orlolivre : comment ne pas œuvrer ?
                 
                       

1. Il vient en plus, et se retire.

Dans une allocution prononcée en mai 2003 lors d'un colloque organisé à l'occasion de la remise des archives d'Hélène Cixous à la Bibliothèque Nationale de France, Jacques Derrida a choisi de donner à son intervention un titre dérivé du titre officiel du colloque (choisi par Mirelle Calle-Gruber). Aux trois termes genèses, généalogies, genres (au pluriel), il a ajouté le mot génie. En français, explique-t-il, ce mot ne peut se dire qu'au masculin singulier, ce qui donne pour titre : Genèses, généalogies, genres et le génie. Dans cette formulation, le génie s'ajoute aux trois éléments génétiques. Commençant lui-même par "gén", il vient en plus, en excès, comme une force monstrueuse, inhumaine, qui prolonge la genèse en ne se pliant à aucune généalogie, qui forme à lui seul un genre en perturbant les genres établis.

Il s'ajoute donc, mais, en s'ajoutant, il se retire. Toujours singulier, il se soustrait du commun, du partageable, de la différence des sexes, de l'art, de la littérature, de la série des mots en "gen" qui commande l'appartenance : la généalogie, la genèse, le genre, etc.. (Et s'il ne s'en soustrait pas, il en est exclu). Sans ce retrait, cette séparation, cette désaffiliation, l'oeuvre à laquelle il donnerait naissance ne ferait pas événement - au sens fort que Derrida donne à ce mot.

 

2. Sa puissance, c'est son secret.

Comme si le titre de son livre, Genèses, généalogies, genres et le génie n'était pas suffisamment explicite, Jacques Derrida a ajouté un sous-titre : Les secrets de l'archive. Qu'est-ce qui fait le lien entre l'oeuvre, le corpus, l'archive? Et qu'est-ce qui fait sa puissance? Ce qui se trouve dans l'oeuvre, le corpus, l'archive, mais n'y est pas : le secret, le génie. Sous-entendu : Hélène Cixous donne tout, mais son secret, son génie, ils ne peuvent se donner (au sens courant du terme) ni s'archiver. S'ils se donnent, c'est sur un mode qu'aucun archiviste ni archonte ne peut percer. Entre le secret comme tel (préservé, intact) et son apparaître phénoménal (l'oeuvre marquée par le génie), la limite est indécidable, aussi indécidable qu'entre un rêve et le récit d'un rêve. La "toute-puissance-autre" de la littérature, telle que nommée par Hélène Cixous, n'est pas explicable. C'est le secret même - le secret de l'oeuvre et aussi, ajoute Derrida, du génie.

Une oeuvre de génie se met elle-même en mouvement. Dans un autre texte écrit vingt ans plus tôt (Spectres de Marx, pp42-43), Derrida cite la célèbre formule d'Hamlet, The time is out of joint. Son génie, c'est d'appeler les traductions, de les laisser se multiplier, aussi justes les unes que les autres, toute en restant hantée par une chose qui leur résiste. C'est cette chose secrète, insaisissable, qui lui imprime son mouvement.

On ne peut pas élucider l'essence d'un génie, mais on peut l'apostropher, l'interroger. Qui es-tu?. Cette question qui semble s'adresser à un auteur, ne s'adresse qu'à son secret. Qui est tu? écrit Derrida. Qui est celui qui, étant tu, reste dans le non-dit, le non-dicible? Pourquoi ce mutisme du "Qui" est-il impénétrable? Ce "qui' n'est pas seulement un "qui", c'est aussi un "quoi" : "ce qui arrive", qui ne relève ni d'une volonté, ni d'une décision.

 

3. Une inconditionnalité contingente.

Le génie qui arrive, il "eût pu" ne pas arriver. Cette contingence, ce "peut-être", ne s'ajoute pas au génie : c'est le génie même (s'il y en a, et si l'on peut nommer le génie sur ce mode ontologique du verbe être). Le génie est un coup du destin. Il "eût pu" tomber ailleurs, mais c'est ici qu'il est tombé, "au lieu d'un autre" (GGGG p97). Au lieu de cette rencontre, il aurait pu y en avoir une autre, une autre scène primitive, tout aussi contingente. Toutes les histoires de génie commencent ainsi, par un aléa inéluctable qui fait de chaque cas un cas. Pour Derrida, cette rencontre, qu'on peut lire comme une condition passée, est une "inconditionnalité absolue" (p99). En effet aucune condition effective ne peut conduire à la réitération d'un événement qui arrive ainsi, sans détermination ni raison, comme ça, par ce qui ressemble à un hasard. Quand il arrive, c'est trop tard pour en décider. L'événement aurait pu tout autant ne pas arriver, et d'ailleurs nul ne saurait être sûr qu'il soit vraiment arrivé. Il reste lié au "peut-être".

Le génie n'est jamais certain. Il peut toujours être suspecté de simulacre ou de contrefaçon. Sa vérité vertigineuse, c'est que ce qu'il fait, il le contrefait; il n'est authentique que s'il peut se transformer instantanément en faux monnayeur ou en malin génie, tout en préservant sa génialité. Sa position alors n'est pas si éloignée de l'hypothèse cartésienne du Malin Génie. [cf NOTE : Descartes n'exclut pas la folie, au contraire; même si je suis fou, le Cogito existe].

Mais qu'on ne puisse jamais prouver le don du génie ne prouve pas qu'il n'y en ait pas. Même si personne n'en sait rien, ni le donateur ni le donataire, même si l'événement ne s'inscrit dans aucune série qui permette de le nommer ou de le légitimer, même si nul n'a conscience de le donner ni de le recevoir, même s'il n'est jamais reconnu ou entendu comme tel, il peut arriver. Le don inouï qui arrive alors est inépuisable, inappropriable. On ne peut l'accueillir que sur le mode d'une alliance dont rien ni personne n'assure la pérennité.

 

4. Un performatif inouï, au-delà des genres.

Dans Genèses, généalogies, genres et le génie, la question du genre sexuel est mentionnée plusieurs fois (pp10-13, 29, 78-9). Même là où elle n'est pas mentionnée en tant que telle, elle hante le texte, elle le parasite sous différents vocables (genres littéraires, générique, généricité, genos, espèce) qui apparaissent presque à chaque page. Pourquoi l'interrogation sur la différence des sexes serait-elle indissociable d'une autre interrogation, portant sur l'essence de la génialité? "Le génie vient excéder ou déranger l'ordre de l'espèce ou la loi du genre", "il excède la généralité en tout genre ou la généricité de tout genre", ou encore "toute loi du genre, ce qu'on appelle le genre dans les arts, par exemple les genres littéraires, ou ce qu'on appelle le genre sexuel, la différence des sexes. Sans parler du genre humain en général" (pp9-10). A travers la question du genre sexuel, on touche à ce qui est inouï dans le génie : ce qu'il fait, sa performativité, son excès de performativité, une sorte de surenchère inarrêtable de performativité qui déborde ce que, dans Limited Inc (1988), Derrida appelait l'au-delà du performatif. Avec le texte sur le génie dont le titre, en 2003, démultiplie quatre fois la lettre G (dont on connaît l'importance chez Derrida), il ne s'agit plus de généraliser l'acte de langage à tout le discours, qu'il soit constatif ou pas, il s'agit d'en faire autre chose : une transformation singulière, unique, datée, où toute possibilité de genèse, généalogie, genre est subsumée sous une autre catégorie, elle aussi reprise de la tradition.

Pour élargir ainsi le statut du génie, il faut infléchir le mot "génie" vers un statut d'exception. Au lieu de le lire au masculin singulier, comme le prescrivent l'usage et la grammaire, Derrida choisit de le lire au féminin pluriel. "La" ou "les" génie(s) [féminin singulier et pluriel inséparables] ne sont plus rabattus sur un nom, un auteur. Avec le dédoublement pluralisant du mot, le commencement connoté par le génie se mue en une singulière scène primitive dépourvue de père, de mère, de généalogie et d'ascendance. Voici une naissance qui est aussi une grâce, un surgissement sans dette, une métaphore vivante de la mère - au-delà de la vie, plus que la vie.

Que fait le génie? En étant donné, il donne, mais ce qu'il donne ne se transmet pas, ne circule pas. La toute-puissance-autre de la littérature ne se borne pas à la préservation du secret. Elle offre au lecteur la possibilité de se retirer de toute souveraineté, de tout pouvoir de décision [cf §2, 3, 4 de cette proposition].

Il faut de l'invention, du génie, telle est l'injonction derridienne dont nous héritons, la tâche irréductible à laquelle nous ne pouvons qu'acquiescer. Il faut lutter pour cela, mais cette lutte n'est ni celle du créateur, ni celle de l'auteur. C'est celle qui facilite le libre accès à un espace assez ouvert pour que les oeuvres puissent survivre - selon leur légitimité et aussi selon leur force, leur nécessité, leur inventivité productive.

 

 

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Propositions

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Le génie est cette force monstrueuse, inhumaine, qui excède toute loi du genre : dans les arts, la littérature, la différence des sexes ou le genre humain en général

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Penser la génialité du génie, c'est penser ce qui soustrait une singularité au général, au partageable, au genre ou à la communauté du commun

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La génialité consiste à donner naissance à l'oeuvre comme événement, en coupant avec toute généalogie, genèse et genre

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A la question "Qu'est-ce qu'un génie?", on doit répondre à la deuxième personne : "Génie, qui es-tu?", dans le secret du silence : "Qui est tu?"

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Le génie consiste peut-être toujours à se trouver au lieu de l'autre, comme l'autre à la place de l'autre

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L'essence du génie le plus vrai réside dans le risque toujours ouvert d'une contrefaçon indécidable

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Descartes n'exclut pas la folie, au contraire; même si je suis fou, le Cogito existe - par l'hypothèse du Malin Génie, la folie est accueillie dans l'intériorité la plus essentielle de la pensée

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Le secret de la Littérature, cette "Toute-puissance-autre", c'est le secret même

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La génialité est l'événement absolu qui assigne une limite indécidable entre le secret comme tel, et son apparaître phénoménal

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Un chef d'oeuvre est en mouvement, à la manière d'un fantôme : il est hanté par une Chose qui résiste, insaisissable, à la mémoire et à la traduction qu'il appelle

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Le mot "génie" connote toujours l'origine, la naissance, la nature, le surgissement du commencement

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Il y va dans toutes les histoires de génie d'un aléa inéluctable, d'un coup de destin, d'une marque de contingence qui fait de chaque cas un cas

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Le mot de "génie", il faut l'infléchir vers la féminité d'une origine du monde

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Sauver le génie, métaphore vivante de la mère, de la vie ou de la vie plus que la vie, contre la domination de la culture moyenne, telle est la métaphore en général

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La situation du génie est celle d'un don performatif, indécidable, monstrueusement inouï, inépuisable, inappropriable et irréductible à l'ordre de la preuve

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Quand le génie a lieu, c'est trop tard pour en décider; l'oeuvre aurait pu être liée autrement, mais c'est ainsi qu'elle l'aura été, inconditionnellement

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La puissance propre à la littérature consiste à vous donner à lire, grâce à la grâce qui vous est faite de vous retirer de toute souveraineté, de tout pouvoir de décision

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Il faut lutter pour faire survivre les oeuvres en fonction de leur force, leur nécessité, leur génialité, leur inventivité productive, dans un espace public ouvert au-delà de l'espace national

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Genèses, généalogies, genres et le génie - Les secrets de l'archive (Jacques Derrida, 2003) [GGGG]

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