Aujourd'hui, on hésite à utiliser le mot "génie". C'est un mot gênant, suspect, illégitime, voire intenable. Y aurait-il des génies de naissance, des génies innés, déterminés par la génétique? Ou des personnes inspirées, irresponsables, auxquelles des muses auraient dicté, dans l'ivresse, un texte ou une écriture? Croire en cela, ce serait renoncer à toute explication rationnelle, érudite, ce serait tomber dans une interprétation mystique. Si le don du génie tient à sa naissance, si son secret est ineffable, alors le mot même de "génie", biologisant et théologisant, doit être écarté.

Mais justement, Derrida tient à le réintroduire, même s'il doit pour cela donner un autre sens au mot mystique [à rapprocher de celui-ci]. Il tient à apostropher le génie. "Génie, qui es-tu?" Il pose cette question à son interlocutrice du jour, Hélène Cixous (une femme), et aux auteurs auxquels elle s'est intéressée (par exemple Shakespeare, Joyce). Ces auteurs font exception, y compris dans les lignées, les familles auxquels ils appartiennent. Ils occupent la place de l'autre.