Après avoir déconstruit la lettre lacanienne, Derrida donne son analyse du récit d'Edgar Poe, la Lettre volée. Il prend ce récit par ses marges, ses bords, et d'abord son commencement obscur. Poe renvoie à deux autres récits dont Lacan ne dit pas un mot. La narration de La Lettre volée commence en-dehors d'elle-même, par une citation.

Alors que l'interprétation lacanienne est surplombante, métalinguistique, Derrida part de détails de la scène d'écriture. Alors que Lacan cadre le texte, en exclut de larges parties, le réduit à trois triangles qui lui servent à retrouver sa propre vérité (Freud, lui aussi "dévoilait" dans les contes ce qu'il était déjà sûr d'y trouver), Derrida réintroduit les éléments ignorés du cadre. Alors que Lacan s'intéresse au centre du texte, au dedans de la représentation, Derrida fait revenir dans l'analyse la position du narrateur, oubliée par Lacan. Le narrateur n'est pas intéressé par le retour de la lettre, mais par le mouvement de l'écriture, la fantastique imagination de Dupin auquel il s'identifie.

Dans la structure disséminale, la lettre dérive interminablement. La Lettre volée commence par une bibliothèque, c'est-à-dire par des renvois, par une désorientation. A la fin, la lettre de la Reine est remplacée par une autre lettre signée par Dupin : c'est tout ce qui reste au ministre. La lettre initiale s'est dédoublée. Rien ne prouve que ce dédoublement ne se reproduira pas. Au-delà du récit, elle peut se diviser encore, poursuivre son trajet sans destinataire prédéfini, par des suppléments imprévisibles.