L'homme du besoin vit dans l'insuffisance. Il n'est pas séparé de l'extérieur, puisqu'il en dépend. Il est pris dans une logique où, pour combler sa demande, il faut restaurer l'unité avec l'être dont il tire sa subsistance. Au contraire l'ordre du désir est une relation entre étrangers qui ne se manquent pas les uns aux autres. L'homme du désir se place au-delà de la satisfaction ou de l'insatisfaction, au-delà de la plénitude. S'il vise un Bien, c'est un Bien en soi qui n'est pas déterminé par ce dont il manque, un luxe qui est au-delà de l'être. Il est libre, séparé, en-dehors du système qui suppose dépendance. Il possède son être. Sa séparation n'est pas une diminution de l'infini, une dégradation : il a l'idée d'un infini qui admet un être en-dehors de lui - selon le paradoxe de la création ex nihilo.

Mais le besoin est déjà bonheur. L'essence du besoin est la distance s'intercalant entre l'homme et le monde. Cette distance peut se convertir en temps et subordonner le monde à l'être libéré, mais besogneux - et elle peut aussi se convertir en une jouissance qui ne nous asservit pas. La dépendance peut virer en souveraineté, en source de plénitude et de richesse. L'homme peut être heureux de ses besoins.

Les besoins me constituent en tant que Même, véritable sujet. Dès le besoin, nous sommes en-dehors des catégories d'être.