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Sources (*) : CinéAnalyse : En ajoutant encore à ce qui se dissémine               CinéAnalyse : En ajoutant encore à ce qui se dissémine
Achille Vanzetti - "Résister à dire", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 26 février 1995

 

Photo prise dans la rue -

L'espace vocal

Des déchets vocaux envahissent l'espace

L'espace vocal
   
   
   
                 
                       

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Rédaction du 26 février 1995 :

Ça s’est passé à un certain moment, à une certaine époque (vers 1905). L'espace n'est pas carrément devenu vocal, ni même purement auditif, il a juste reçu quelques déchets qui ne trouvaient plus place ailleurs (car le monde était déjà envahi par un bruit inhumain). On ne s’en est pas rendu compte, il y a tout juste eu quelques scandales en peinture et ailleurs, mais ça ne portait pas à conséquence. La métamorphose ne s’est pas faite en un instant. Le processus a d’abord été additif, quand l’espace a pris en charge la fonction d’une décharge où se sont retrouvés, entre autres, quelques morceaux de voix, ce dont ont témoigné peu après Klee et Kandinsky qui ont tenté d'y mettre un peu d'harmonie (et le plus étonnant, c'est qu'ils y soient parvenus). Une belle décharge, cela est-il possible? Difficile mais pas impossible, comme le montre l’étrange laideur séduisante d'une partie de l'art d’aujourd’hui, et sa réussite quand il s’obstine à rendre un hommage, ambigu mais sincère, à ce processus non décrit.

Empli jusqu’à la gueule de déchets vocaux, l’espace est à la fois ouvert et fermé. Il est ouvert parce que des déchets ne tuent jamais complètement la décharge dans laquelle ils se déversent. Du gaz inflammable en jaillit (les cadavres bougent encore) ou des lixiviats en réchappent, menaçants. Les précautions ne peuvent pas les détruire, elles peuvent seulement les canaliser. Cet espace est vivant, il bouge, il se fait dangereux si vous omettez d’en tenir compte. Il faut le surveiller. Malgré tout, il se remplit de plus en plus. La tendance est nette. Un jour, il se fermera complètement. Ce jour-là, quand les produits vocaux nous envelopperont sans perte, ce jour-là, je vous le jure, nous y prendrons plaisir.

Puis les choses se sont accélérées de façon stupéfiante. Certains disent que le monde s’est vidé, d’autres qu’il était déjà vide depuis Galilée, voire depuis Giotto (ou même depuis les débuts de la Cabale), et que nous subissons, nous pauvres contemporains, les conséquences lointaines de ce vidage. Actuellement, soutenir que l’espace est vide impliquerait que ces déchets vocaux soient dépourvus de substance. Notre voix organique est-elle substantielle? Disséminée dans un cosmos transformé en espace familier, possède-t-elle encore une matérialité? Trop peu, ou encore beaucoup trop. Portée à l’incandescence avant de retomber en cendres, notre voix s’est-elle estompée, ou au contraire est-elle trop remplie, bourrée, éclatée, horriblement pleine de tout ce qu’on lui fait dire? Oubliés, les messages nous reviennent ou nous reviendront un jour, et ce jour-là nous y croirons. Les artistes qui peignent ce retour le montrent parfois exaltant (comme une annonciation) ou parfois effrayant (comme une tempête abstraite). Il est parti de nous-mêmes et nous terrorisera, car nous avons peur de nos propres pensées.

Quand l’espace a perdu sa profondeur, quand il a assumé sa nature de surface (processus qu’engagèrent audacieusement les baroques et qui ne s’achève pas, qu’on radicalise toujours un peu plus, mais mon dieu, jusqu’où?), il est devenu moderne. L’espace plat est l’espace naturel, et l’espace à trois dimensions l’artifice. Au-delà des trois dimensions, c’est une fumisterie. Le temps lui-même n’est pas une dimension supplémentaire, c’est une simple modalité de la jouissance, une façon d’expérimenter la surface.

Construire un espace structuré, doté de repères, de points de vue et de points de distance, un espace supportant l’équivalent d’une perspective (sans toutefois en être une, au sens traditionnel du terme), ou susceptible de donner naissance (et d’entretenir efficacement) une forme symbolique acceptable par les sujets de notre époque, ce n’est pas chose facile, surtout à partir de déchets vocaux qui (évidemment) ne se déclarent pas comme tels, qui ne se présentent pas comme des déchets vocaux (ce serait trop facile) et qui s’obstinent (en outre) à ne pas servir de points de fuite... Oh! C’est une gageure. Une gageure et une obligation, car l’être humain se survit pas sans repères dans l’espace. Donc, en partie, ces repères sont vocaux, parce que l’espace a été envahi par des corps étrangers. Il n’y a plus d’habitation sans radio ni de supermarché sans musique, il n’y a plus de ville sans circulation ni de bureau sans téléphone. Et pourtant l’espace reste l’espace : lieu visuel où se stockent (et se démultiplient) les images, lieu fondé et refondé à chaque instant par le regard c’est-à-dire par le désir qu’abrite le regard. Certes, il y a toujours eu un espace acoustique articulé à l’espace visuel, il y a toujours eu des traductions plus ou moins codifiées entre l’espace sonore et celui de la vision. Un oiseau a toujours été un chant en même temps qu’un pelage. Mais voilà, peut-être, l’oiseau n’est-il plus un pelage, mais seulement un chant. Et puis voilà, peut-être, que le chant se détache de l’oiseau, comme dans les musiques de Messiaen, et que se chant se substitue à l’oiseau comme être visuel, tout en restant, pourtant, dans l’espace. Ce n’est pas simple. Ce n’est pas sans risque. Mais ça marche. Et puis, surtout, ça se voit. Ça se voit dans la vie et aussi dans la peinture (ce qui prouve qu’elle sert à quelque chose). Je ne l’invente pas. Ce n’est pas une phrase de poète ni une interprétation philosophique, c’est, à mon avis, un fait. Tu peux expérimenter ce fait en regardant les reproductions de peinture que je t’offre.

On peut prendre le problème sous l’angle du déchet. Tout organisme vivant génère des déchets. Il faut bien que ces déchets occupent une certaine position dans l’espace. Je ne parle pas de leur mode d’élimination, qui est un autre problème, je parle de la façon dont ils occupent l’espace. La décharge sauvage repose sur l’idée d’une expulsion de ces déchets. S’il y a expulsion, il y a délimitation d’un espace territorial par rapport auquel la décharge est à la fois à l’intérieur (elle sert à l’élimination) et à l’extérieur (un organisme qui conserverait ses déchets dans son propre corps se suiciderait). Or le bruit est tel dans le monde moderne, le bruit assourdissant des machines et des appareils mais aussi le bruit inaudible des paroles enfouies, le bruit est tel que la voix ne peut plus s’exprimer sur un mode et dans une intensité adaptées à la nature humaine. La voix, celle qu’il faut éliminer, est le déchet de ce bruit excessif. Elle part dans l’espace. Elle s’accumule dans des décharges sauvages et nous revient sous forme spatiale. Vous ne me croyez pas? Alors interrogez-vous. D’où est venue l’idée du collage en peinture? Pourquoi se servir de déchets disparates (généralement vidés de toute signification) dans un but plastique? Il y a cent et une explications à ce phénomène sur le marché de la critique de l’art, vous pouvez bien entendre la mienne.

 

 

- ACHILLE : Avant la rupture, les gens vivaient dans un espace plus pur, plus transparent. La rupture a été un processus historique, datable et bien circonscrit. L'espace s'est opacifié, il s'est rempli de toutes sortes d'objets souvent peu descriptibles, étranges ou inattendus (quoique certains visionnaires l'aient presssenti depuis longtemps, car le monde était déjà envahi par un bruit inhumain). On ne s’en est pas rendu compte tout de suite. Il a fallu quelques poètes inclassables ou quelques peintres pour qu'on s'en aperçoive. Une sorte de folie semblait toucher les artistes. Ce qu'ils voyaient dans leur esprit s'était déplacé dans l'espace. La métamorphose a été longue, mais réelle : notre espace psychique à tous en est sorti bouleversé. Parmi les choses imprévues, il y avait quelques morceaux de voix. C'est le point de départ auquel je crois, car ces morceaux de voix je les ai trouvés moi aussi, on les rencontre tels quels dans l'oeuvre d'Edvard Munch comme dans celle de Van Gogh, tandis que d'autres peintres comme les impressionnistes ou les gens du Bauhaus, Klee ou Kandinsky, ont tenté d'y mettre un peu d'harmonie (le plus étonnant, c'est qu'ils y soient parvenus). Jeter des restes de voix dans une décharge, est-ce que c'est possible? La preuve que oui. Il y a de la voix aussi comme déchet, et nous la voyons. Moi, c'est aux déchets que je m'intéresse. Les petits morceaux de voix ont enflé, enflé, ils sont devenus des appels, des cris d'angoisse, des hurlements de guerre et je ne sais quoi d'autre. L'espace assourdissant s'est empli jusqu’à la gueule de restes vocaux. C'est grâce à ça qu'il est vivant, qu'il bouge, qu'il contient aussi quelques oeuvres d'art qui sont aussi des voix. Il faut tenir compte de tout ça, sinon cet espace pourrait devenir dangereux. Il faut le surveiller. Il se remplit de plus en plus. J'aime cette diversité, j'aime ce trop-plein.

- LÉO : Achille, tu me fais rire. Quelqu'un a-t-il déjà vu un espace plein de voix comme un tas de fumier?

- ACHILLE : Non, personne. Mais personne n'a jamais vu la voix non plus.

 


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