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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 
   
Voix, origine                     Voix, origine
Sources (*) : La voix se retire!               La voix se retire!
Patrice Dufébure - "Le goût de la parole", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 7 octobre 1996

La Voix porte la question de l'origine

   
   
   
                 
                       

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Texte du 7 octobre 1996.

Je ne parle pas ici de création, je parle d’origine. L’origine présente cette particularité : elle précède la création. C’est ce qui la rend fascinante. Avant ma propre création, il y a mon origine : ce qui était déjà là quand je n’avais pas la moindre existence, même pas virtuelle, et qui ne m’attendait pas. Mon origine a été indifférente à ma venue au monde, comme elle l’aurait été à ma non-venue. C’est ainsi, aussi déplaisant que cela puisse paraître.

Une fois pour toutes, nous devons admettre que l’origine précède la voix. Tout ce qui nous rappelle cette vérité est difficile à accepter, voire tout simplement inacceptable. Cela explique peut-être quelques craintes et quelques interdits.

La peur du sexe féminin est un phénomène bien connu. Contrairement à ce qu’on dit, elle affecte autant les femmes que les hommes. Les hommes sont horrifiés par ce qu’ils prennent pour un défaut du sexe, et les femmes ont peur de ce que leur propre constitution révèle comme vacuité.

L’étroit rapport entre ce phénomène et la question de l’origine est une des énigmes du célèbre tableau de Gustave Courbet, “L’Origine du monde” (qui date de 1865). La vulve y est muette, désespérément, et la laideur y exerce un attrait démesuré dont tout le monde sait qu’elle confine à la beauté.

Ce qu’on suppose de mystère à la femme ne tient pas à sa physiologie ni à sa psychologie ni à l’ignorance où à la timidité masculines, mais au fait que l’énigme de l’origine est concentrée dans sa vulve. L’étonnement est partagé par les sexes, les cultures et les époques.

“Le rossignol chinois” de Max Ernst (un collage daté de 1920) n’a qu’un point commun avec le rossignol des citadins que nous sommes : il ne chante pas. Sa bouche est une sorte de vulve immensément ouverte, tellement ouverte que rien n’en peut sortir. La voix féminine y est enfermée, enclose, emprisonnée, et les gestes de séduction désespérée des mains n’y changent rien. Si l’on prend cette image pour une définition, un rossignol chinois serait l’objet capable de garder sa voix en lui-même, de supporter la tâche d’être le gardien de la Chose, le maton de l’origine.

On peut imaginer que la pudeur est apparue avec la voix. Notre cri s’est habillé en même temps que notre corps. Il en résulte qu’à chaque fois que nous voyons ou représentons un nu, nous évoquons l’humanité dite “adamique”, originelle. Mais il est une constatation triviale : les nus ne parlent pas. A partir du moment où Adam sait qu’il est nu, la voix de dieu lui fait peur.

“L’Eternel-dieu appela l’homme, et lui dit : “Où es-tu?” Il répondit : “J’ai entendu ta voix dans le jardin; j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché”. (Genèse 3:9-10).

Toutes sortes de figures représentent ce point originel muet : le néant, le chaos, le vide, le trou, etc. Dès qu’il y a création, il y a “Big Bang”, c’est-à-dire bruit. Si l’on se situe après la création, on ne peut situer le point qui la désigne que comme aleph, c’est-à-dire comme lettre imprononçable.

Il en résulte que l’origine ne peut se donner que comme absente. En raison du retrait de la voix que j’explique plus loin, cette absence, pour nous, est absence de voix.

L’humanité passe son temps à inventer des dispositifs nouveaux pour rendre présente la voix originelle. Exemples : le chofar, la musique. C’est extrêmement émouvant, mais c’est un artefact, car il n’y a pas de voix originelle. On n’évoque par ces moyens que le manque, l’absence, le vide.

Toutes les sociétés avant la nôtre se sont inventé des mythes destinés à pallier l’absence d’origine. Mais la nôtre s’interdit à elle-même cette solution facile. Notre époque s’oblige à faire face au réel. Elle se confronte directement à l’absence d’origine. C’est ce qu’on appelle l’athéisme.

Actuellement, le sansVoix est omniprésent. Il fonctionne comme origine. C’est le point central, le point d’anamnèse de notre univers.

Le sansVoix est ce qui résonne. Il est la résonance qui précède la voix. En ce point, c’est le réel qui vibre, et qui manifeste la Chose.

Il en résulte cette réalité angoissante : La voix résonne dans le vide.

En tant qu’elle est vocale, la création est un retrait de l’origine. L’origine (c’est-à-dire le sansVoix) doit être reportée en-deça de la création pour que celle-ci fonctionne, c’est-à-dire conserve son pouvoir créateur. En d’autres termes, pour que la création continue à agir, elle doit être dissociée de l’origine.

Or, ce n’est pas ce que nous ressentons. Nous croyons que le retrait de la voix fonctionne comme défaillance de l’origine. C’est une sorte d’erreur, de maldonne, qui explique que le sansVoix contemporain, qui provient notamment de la science, fonctionne comme retour tragique à une origine vécue comme anéantie.

Par suite du dédoublement du retrait, ce qui fonctionne comme origine des temps actuels se dédouble, et nous devons vivre avec deux sortes de voix :

- notre voix humaine qui nous échappe de façon tragique,

- la voix artificielle qui s’y est ajoutée et que j’appelle l’espace vocal, que nous ne maîtrisons guère plus.

Double voix, double origine, double retrait de l’origine et de la voix, de l’origine de la voix. Double souffrance.

Comme l’indique la tradition et le vocabulaire, toute voix porte une invocation. Cette invocation ne s’adresse pas qu’à l’Autre ou à l’autre, elle s’adresse à l’origine.

La voix a pour propriété d’être immédiate, présente. Mais cette présence porte curieusement sa propre insuffisance. Elle invoque autre chose, un en-deça de la voix. Ce paradoxe initial, fondateur, est une propriété étonnante de la matière vocale.

L’étrange émergence de pratiques vocales entre 1909 et 1917, sous le nom, entre autres, de futurisme et de dadaisme, correspond à un désir forcené de réinventer l’origine à travers sa destruction. Le refus radical du passé actualise de façon tout aussi radicale la présence de l’origine. Ce qui est fascinant dans ce phénomène, c’est que, spontanément, il ait privilégié la voix.

Sur une photo prise en 1917, on voit Hugo Ball, le visage masqué par un cylindre, réciter des “poèmes de mots abstraits” qui n’ont aucun sens. Pourquoi se livrer à une action aussi bizarre? Pourquoi ces jeunes gens ont-ils voulu réinventer l’origine par une voix qui ne serait attribuable à personne? Parce que la dite origine était tragiquement absente et qu’ils ont cru, littéralement, pouvoir donner leur corps pour exorciser cette absence. Mais ce don n’a servi à rien. Dans le même temps, les jeunes gens se faisaient massacrer en rangs serrés dans les tranchées de la guerre. La suite a montré que personne ne pouvait empêcher le retrait de la voix.

Toute voix est question, toute voix porte un questionnement. Toute voix peut être rapportée à l’interrogation des Hébreux dans le désert : Manne?

Comme ces Hébreux l’ont vécu pendant 40 ans d’errance qui ont consumé une génération entière, seule la question peut nourrir notre capacité de survie. La voix questionnante, qui porte toujours sur l’origine, permet de survivre à son absence.

Toute voix étant associée fictivement à une origine, produit une dette à l’égard de cette origine. C’est une sorte d’axiome.

La voix porte les filiations.

La nécessité de suppléer à l’absence d’origine explique que la voix commande.

- JONAS : Il y a, quelque part, une voix originelle. Le simple fait que nous parlions, que nous pensons, nous oblige à croire en cet axiome. Conséquences : toute voix est associée à une origine, toute voix produit une dette à l’égard de cette origine, toutes les filiations en découlent. Cette voix originelle, l’humanité passe son temps à inventer des dispositifs nouveaux pour la rendre présente. Exemples : le chofar, la musique.

- GEMINGA : C’est extrêmement émouvant, mais c’est un artefact. Par cette soi-disant voix originelle, on n’évoque que le manque, l’absence, le vide. Toutes les sociétés avant la nôtre se sont inventé des mythes destinés à pallier l’absence d’origine. Moi si j'avais quelque chose à proposer, ce ne serait pas qu'on mette la voix à cette place, ce serait qu'on commence, enfin, à s'en dispenser!

- NINA : Pour moi, la voix n'a ni futur ni passé, elle ne porte ni causalité ni raison, c'est la chose la plus fugitive qui soit.

- JONAS : La voix a pour propriété d’être immédiate, présente. Mais cette présence porte sa propre insuffisance. Elle invoque autre chose, un en-deça de la voix. Ce paradoxe initial, fondateur, est une propriété inhérente à la matière vocale.

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Propositions

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On ne sait pas d'où vient la voix

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La Voix porte la question de l'origine

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Près de l'autre, j'assiste à l'effrayante naissance de la vocifération

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La voix relie le sujet à son origine par la médiation du langage

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La voix est cette origine parlante qui fait, de la chair, un corps d'homme

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La voix est le lieu où l'homme dit oui à l'avènement du langage

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En écho à la voix silencieuse de l'Etre, la réponse humaine est la pensée originelle que "l'étant est", parole qui donne naissance au langage

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Il y a au moins deux versants de la voix (Vox et Phonè), voire plus

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Il faut entendre la voix pour briser sa matérialité et rétablir le rapport d'altérité qui fonde l'inconscient et la parole du sujet

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Orphée met en présence la voix et l'écriture

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Le cri est l'éclat de la Voix dans son origine

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L'inconscient est le lieu symbolique d'où vient la voix et où elle retourne dans le silence de la présence à soi

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Par le meurtre originel de la Chose, la voix participe du masochisme primordial

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On distingue trois voix grammaticales : active, passive ou moyenne

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Désormais la voix révèle l'absence d'origine

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Dieu s'est séparé de soi en laissant le silence interrompre sa voix : son écriture commence avec les Tables, à la voix rompue et à la dissimulation de sa Face

 


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