Kant intitule un chapitre de sa Métaphysique des moeurs : "Des devoirs de vertu envers les autres hommes, issus du respect qui leur est dû". Il y donne une définition du respect (voir ci-contre quelques éléments de cette définition). Derrida fait observer que la responsabilité et le respect sont liés, mais que la première, sur le mode du "répondre à", se dit à l'oreille, invisiblement, par la voix, et prend du temps, tandis que le second repose sur une séparation dans l'espace, par le regard de l'autre.

L'amitié parfaite selon Kant suppose amour réciproque et égal respect. C'est un devoir qui rend l'homme digne d'être heureux. Mais comment s'assurer de la réciprocité, de l'égalité? Comment faire en sorte que l'attraction fusionnelle de l'amour (la familiarité) ne mette pas en danger cette répulsion qui, dans le respect, tient à distance? Pour que le respect résiste à l'épreuve du temps, pour que l'amitié ne soit pas rompue ou interrompue, il faut des marques extérieures, des témoignages, un cérémonial (montrant cette considération de l'un pour l'autre). Certes (pour Kant), ces signes d'amitié peuvent être trompeurs, illusoires, mais ils sont néammoins nécessaires. Car l'amitié est fragile. Trop de tendresse ou trop d'amour la menace, la pervertit. Le mal, c'est de s'abandonner à ces sentiments. C'est l'amour lui-même qui en est porteur, dit Kant, et le plus grand amour peut être porteur du mal le plus radical : la rupture du lien social. Tel serait l'inconscient de Kant : la peur d'un cygne noir qui menacerait l'amitié, le respect, la dignité de l'homme.