Jacques Derrida résume ce que dit Carl Schmitt dans sa Théorie du partisan en le reprenant à son compte et même, pourrait-on dire, en le radicalisant. Il insiste sur un point soulevé par Schmitt, qui pour lui prend une importance exceptionnelle. Si les grands révolutionnaires comme Lénine ou Mao Tse Toung (Schmitt écrit en 1963) font preuve d'une hostilité absolue à l'égard des règles usuelles de la politique, c'est pour des raisons philosophiques. Il y a chez eux, dit Derrida, "coïncidence de la plus pure philosophie et de la plus intense détermination concrète". Chez eux, la distinction ami / ennemi n'est pas brouillée ni neutralisée, au contraire, elle se radicalise. Puisque l'ennemi de classe est un ennemi absolu, tout l'espace est repolitisé, voire surpolitisé, ce qui libère "des forces explosives nouvelles et inattendues". Pour contester radicalement la tendance moderne à la dépolitisation (qui neutralise les oppositions politiques de l'ère classique), il faut faire appel à cette instance (la philosophie) en tant qu'elle est "proprement productrice du politique pur". Il faut mettre en oeuvre, au présent, une nouvelle alliance, entre la philosophie et le partisan.

[Mais Derrida précise : même en cas de guerre civile, de guerre révolutionnaire, même si, dans une lutte absolue, toutes les lois de la guerre sont violées, le conflit reste fratricide. La vérité la plus monstrueuse du politique, c'est que seul un frère peut être sujet d'une hostilité absolue].

Römer photographiant les révolutionnaires sur la Lindenstrasse, le 5 janvier 1919.

Pour que Clausewitz ait été tenté lui-même par la lutte des partisans contre Napoléon (en 1812-13), il aura fallu qu'il ait été, lui aussi, au moins en partie, un philosophe ou un homme "de vaste culture". Selon Carl Schmitt, par rapport à Lénine ou Mao (tous deux héritiers, volontaires ou involontaires, de Hegel), il lui manquait la fusion du concret et du philosophique. Le révolutionnaire professionnel doit être un penseur, et aussi un praticien de la politique.