Carl Schmitt fait remarquer que la guerre absolue, celle qui viole toutes les lois de la guerre, peut être une guerre fratricide. Jacques Derrida inverse cette proposition. Selon lui, s'il y a guerre et hostilité absolue, ce ne peut être que pour un frère. Il s'appuie pour dire cela sur la très longue tradition du frère ennemi. Ce frère n'est pas extérieur à moi, il est aussi intérieur, et c'est en tant qu'ennemi intérieur qu'il est le plus dangereux. La vérité du politique, une vérité monstre, une vérité comme monstruosité, c'est que c'est soi-même, le jumeau, qui revient sous les traits de l'ennemi absolu.

La tradition biblique (Caïn et Abel) ou grecque (Atrée et Thyeste) ne parle que de cela. Dans l'inceste, l'anthropophagie, il s'agit de politique, d'héritage, de partage et de prise du pouvoir entre frères, de destruction du frère ennemi, du double, du rival. La guerre à mort entre les frères suscite un sentiment équivoque, une impitoyable sympathie.

[Quand les frontières conventionnelles du politique sont brouillées, alors c'est l'alliance entre les frères, le serment de fraternité, qui est menacée. Catastrophe (ou plutôt cat'apostrophe! - le refoulement ou l'inhibition de l'hostilité entre frères - ou l'origine pré-juridique du juridique (p176) sont mis en cause.]