L'idéal d'un être accompli de toute éternité, ne pensant que soi-même [qui est l'essence de la raison chez Spinoza ou Hegel], ne saurait servir d'étalon ontologique à une vie. Sans doute est-ce l'ultime intention de l'idéalisme, qui rejette le désir dans le subjectif ou l'imaginaire. Mais toute l'expérience pathétique de l'humanité s'y oppose. En ayant une existence séparée de l'être plein et immuable, le sujet acquiert la certitude du surplus qui se produit avec l'infini. S'il proteste contre l'identification de la volonté à la raison, c'est parce que la vie [individuelle ou personnelle] n'est pas une diminution ni une déchéance. L'individuel et le personnel agissent indépendamment de l'universel. Ils sont nécessaires pour que l'infini puisse se produire comme infini. Au-dessus de l'être, il peut y avoir de l'être, comme le montre l'idée platonicienne du Bien.

La volonté ne peut pas être réduite à une raison embryonnaire sommeillant dans le moi. Son intelligibilité réside dans le comportement éthique. Elle est libre d'assumer ou non sa responsabilité. Dans l'accueil du visage, elle s'ouvre à la raison, une raison qui n'est pas commune à tous les êtres et qui est ouverte à l'absolument nouveau : Autrui.

La raison est l'expérience de ce qui n'est pas déterminé a priori. Elle est corrélative de la présence éthique de l'autre, qui s'impose sans violence. Le sujet n'y abdique pas son unicité. Le passage au rationnel est langage, c'est-à-dire réponse par la parole à l'être qui lui parle dans le visage.