Le billet de banque tchèque que Raoul Hausmann a utilisé dans son collage ABCD (1923-24) montre le visage d'un certain Jan Amos Komensky, alias Comenius (1592-1670), un pédagogue qui pensait qu'en associant les lettres de l'alphabet à des onomatopées animalières, on aiderait à l'éducation des enfants. On ne sait si Hausmann, qui était d'origine tchèque, en avait entendu parler, mais il a, comme lui, rêvé à la formation d'une nouvelle langue à partir de lettres et de mots. Pour l'avant-garde internationale de cette époque, la construction d'un monde meilleur devait commencer par un travail sur l'alphabet. Le terme de constructivisme y fait allusion : il faut reconstruire la langue à partir de la poésie, la peinture, l'architecture, et pour cela les reprendre à zéro. L'émergence de l'abstraction en peinture conduisait à pousser le langage à ses limites. Khlebnikov connaissait la Cabale et cherchait une écriture originelle. Comme les poètes zaoum (Chklovski, Kroutcheniykh), il croyait que les traces d'une langue adamique disparue devaient encore subsister. Pour Hugo Ball, le mot était une chose dont on devrait pouvoir se servir de manière non conventionnelle. Quand il prononçait ses poèmes sonores au cabaret Voltaire en 1916, il était probablement influencé par Kandinsky qui avait écrit une pièce de théatre intitulée Sonorité jaune en 1909, et un recueil poétique, Klang (Sons). Ici Schwitters reprend les quatre lettres ABCD, la même année que Raoul Hausmann.