Il y a dans tout discours ces trois pôles, ou triangle pragmatique :

- l'énonciateur qui parle, fait et fait faire. C'est le sujet de l'énonciation de la volonté autonome, celui du cogito, du discours philosophique ou de l'impératif catégorique kantien. L'émergence d'un tel sujet est l'un des aspects de la modernité. Cette organisation caractérise la pensée occidentale. On la retrouve au niveau politique.

- le destinataire de la parole. C'est celui vis-à-vis duquel j'ai une obligation. Dans la pensée juive, cette obligation vient avant tout choix autonome, toute énonciation. C'est une forme essentielle du lien social, mais oubliée, voire rejetée.

- dans l'organisation populaire, les gens qui racontent sont eux-mêmes narrés, racontés dans ce qu'ils racontent [pôle du référent]. Les récits païens n'ont aucune valeur de vérité. Ce sont des poèmes, des mythes, des "histoires de bonne femme" qui ont une valeur pour ceux qui les racontent en leur propre nom. Cet état premier du discours est lui aussi souvent refoulé.

Dans les jeux de langage, tel ou tel pôle va être oublié, ou neutralisé. Exemples : dans les discours spéculatifs, le destinataire est occulté; dans les jeux prescriptifs, l'énonciateur est occulté. L'important n'est pas celui qui parle, mais le fait d'écouter.