Derrida
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                            NIVEAUX DE SENS :

 
   
Gaëtan Bertineau                     Gaëtan Bertineau
Sources (*) :              
Gaëtan Bertineau - "Un mythe salomonien", Ed : Galgal, 2002, Planche prononcée le 27 septembre 2007

Une association initiatique doit s'intéresser à tout, y compris à des sujets comme le cinéma

   
   
   
                 
                       

 

a) Qu'est-ce que le cinéma?

Je vais vous donner une définition du cinéma largement inspirée par le livre de Christian Metz "Le signifiant imaginaire". Mais avant, je voudrais lui rendre hommage. Cet ancien élève de la rue d'Ulm, sémiologue et philosophe, s'est suicidé en 1993 à l'âge de 62 ans, dans l'indifférence générale. Pour quelles raisons? Cela reste à établir. Quand on dresse la liste des penseurs du cinéma qui se sont suicidés, comme Walter Benjamin ou Gilles Deleuze, on pense rarement à lui. Pourtant son cas est intéressant. Il y a probablement des raisons personnelles à son suicide, comme il y en a pour tout suicide. Je ne les connais pas, mais je me souviens qu'au moment de sa mort, certains ont dit qu'il avait été déçu par l'accueil fait à sa pensée, et surtout qu'il s'interrogeait lui-même sur la pertinence de ses travaux. Comme je cherchais à me renseigner sur ce suicide je suis tombé sur une page de Wikipedia sur les grands suicidés du 20ème siècle où son nom apparaît quelque part entre Vladimir Maïakoski et Marilyn Monroe. C'est bien là que je voudrais le situer, car c'est un aventurier de la pensée pour lequel j'ai beaucoup d'admiration.

Ceci étant dit, venons'en à la définition du cinéma. Celle que je vais vous donner est partielle. Elle sert à illustrer ce que j'ai à dire aujourd'hui. Il y a beaucoup d'autres définitions possibles tout aussi pertinentes, et celle-ci n'épuise évidemment pas le sujet.

Je m'installe dans une salle de cinéma. Les lumières s'éteignent. J'arrête toute conversation et toute relation avec mon voisin. Je ne bouge plus. Ma situation peut être comparée à celle d'une personne endormie. Bien sûr je reste conscient. Je ne perds pas la perception de l'espace comme dans le rêve. Mais j'oublie mes soucis habituels. Je renonce à ce qu'on pourrait appeler ma personnalité diurne. Je me transforme en surface d'enregistrement. Mes protections habituelles, le contrôle que j'exerce sur moi-même, mes censures sont diminuées. Je fais confiance à aux images qui apparaissent sur l'écran avec leurs mouvements d'appareil, leur cadrage et tous les artefacts qui constituent le cinéma. Réduit à un pur regard dans une sorte de rêverie éveillée, je me laisse happer par la fiction. Je suis prêt à m'identifier à n'importe quel personnage qui apparaîtra sur l'écran, même s'il n'a pas le même sexe que moi, même s'il n'a pas la même condition sociale ni la même couleur de peau. Je peux aussi m'identifier à une caméra dans ses mouvements complexes, voire à plusieurs caméras. Je suis même capable de m'identifier à des regards invisibles : celui du réalisateur, dont la présence est implicité mais oubliée, ou d'un narrateur qui n'apparaîtrait par sur l'écran, par exemple si sa voix est "off" ou si son corps se trouve, comme on dit, "hors-champ".

J'accepte donc une modification radicale de ma personnalité, encore plus radicale que dans un rêve. Je ne suis plus moi-même, mais plusieurs autres. J'ai renoncé à mon propre inconscient. J'entretiens avec le film une relation étrange. C'est un objet pour moi, mais un objet à l'intérieur duquel je suis. J'ai renoncé à mes propres fantasmes pour ceux d'autrui, qui peuvent éventuellement flatter ou décevoir les miens. Le plaisir que j'en retire est tout à fait différent de mes plaisirs habituels. Ce qui m'aurait dégoûté peut me faire jouir, et ce que j'aurais valorisé dans la vie courante me paraît sans intérêt. Ce que j'expérimente est tout à fait spécial : je me trouve à l'intérieur du fantasme d'un autre. Vis-à-vis de l'histoire racontée, ma position est ambivalente : j'y crois et je n'y crois pas. J'y crois car j'ai désactivé les critères de réalité usuels. L'écran est devenu un miroir où je peux projeter mes identifications. Mais je n'y crois pas, je sais que la scène filmée a été fabriquée, elle a maintenant disparu et ce qu'il en reste n'est qu'un voile fragile, une projection sur écran.

Voilà donc où je voulais en venir : le cinéma est une expérience radicale d'altérité, que je voudrais comparer avec l'expérience de la F-M. J'en viens donc à ma seconde partie.

 

b) Cinéma et F-M.

Si j'ai proposé l'année dernière ce travail sur le cinéma, ce n'est pas seulement parce que j'y trouve beaucoup de satisfactions ou pour des raisons d'opportunité. C'est pour des raisons de fond. Je dois reconnaître que le succès n'a pas été extraordinaire. Il n'y a eu que trois planches autour du thème du cinéma, sans compter la mienne d'aujourd'hui. Néammoins je n'ai pas changé d'avis, pour les raisons que je vais maintenant vous présenter.

Je vais partir d'un propos de Stanley Cavell dans son livre La projection du monde. Cavell est un philosophe spécialiste de Wittgenstein, qui a fait quelques remarquables apartés dans le domaine du cinéma. Il raconte dans l'avant-propos de son livre que, vers 1963, il avait fait une première tentative d'introduire le cinéma dans son cours de philosophie. Cette tentative n'a pas été un franc succès. Sans comparer exagérément ma propre expérience à la sienne, je voudrais citer ce qu'il en dit.

(p18) : "En 1963, je choisis de prendre le film comme thème d'un séminaire d'esthétique. Les avantages pédagogiques d'un tel sujet semblaient prometteurs : tout le monde aurait eu des expériences cinématographiques mémorables, la conversation se développerait naturellement autour de ces expériences, et l'absence d'un canon critique établi signifierait que nous serions contraints de nous en remettre exclusivement à notre fidélité à notre propre expérience et à notre désir d'en faire part. Les participants à ce séminaire, pour beaucoup cultivés et doués, apprécièrent l'idée. Mais ce fut un fiasco".

Vous voyez qu'il y a des points communs avec Stanley Cavell. Mais comment explique-t-il le fiasco? Je cite juste un passage de son explication. "Il s'avéra que les descriptions n'étaient jamais tout à fait exactes, pas toujours parce qu'une péripétie centrale de l'intrigue n'était pas racontée dans l'ordre de la narration ou qu'un événement avait été oublié, mais souvent parce qu'on en écrivait davantage que ce qui avait été montré".

Le problème devant un film, c'est que chacun réagit différemment. Il n'y a pas de discours objectif. Ce que l'un peut en dire, sera pour un autre à côté du sujet, ou inadéquat, ou excessif, ou insuffisant, etc. Nous avons pu constater d'ailleurs à propos du Septième Sceau à quel point il était difficile de se restreindre. Question de goût, comme on dit, et le goût est toujours subjectif. Question aussi de relation inconsciente avec le genre d'objet qu'est le film. C'est là que j'en reviens à la définition du cinéma que j'ai donnée dans ma première partie. A cause de certains facteurs incontrôlables, il y a comme un embarras à parler publiquement d'un film. On en discutera entre amis, mais on hésitera à s'engager trop personnellement. Selon Stanley Cavell, le commentaire de film suit généralement deux voies :

- soit ne rien dire sur le fond. C'est ce qu'on fait quand on se contente d'un "J'ai aimé" ou "J'ai pas aimé", sans autre commentaire.

- soit se réfugier dans des considérations relevant d'un savoir technique : par exemple le réalisateur a déjà fait ceci ou cela, les acteurs étaient bons ou mauvais ou, il y a tel ou tel type de montage, ou bien ça correspond à une vérité historique, ou encore C'est vraisemblable ou ça n'est pas vraisemblable.

Dans ces deux cas, on ne dit rien sur ce qui est le véritable intérêt du cinéma : nous obliger à réduire la censure psychique, nous livrer dans notre singularité, nous confronter à l'altérité.

Maintenant je vais parler des sujets abordés traditionnellement en F-M, notamment dans notre tradition à nous, modérément symbolique, assez laïque et assez sociale. On s'intéresse à des sujets maçonniques (équerres, compas et autres fils à plomb), ou à des sujets sociaux, par exemple sur la fraternité ou l'égalité. Ou encore à la mythologie ou à l'histoire. Qu'elle différence avec le cinéma? Il est beaucoup plus difficile de faire passer à travers ces sujets des éléments singuliers ou personnels. Certes, avec beaucoup d'efforts et d'implication, on peut y arriver, mais les planches impersonnelles sont fréquentes.

Qu'est-ce qui caractérise notre époque (entre autres)? La médiation symbolique n'est plus assurée par les catégories stables, admises par tous et qui peuvent faire l'objet d'un enseignement, mais par des expériences qui impliquent le sujet dans sa subjectivité. Tous les critères objectifs de qualité d'une oeuvre artistique ont été abandonnés. Comme disait Marcel Duchamp, aujourd'hui, c'est le regardeur qui fait le tableau. De même, c'est le regardeur qui fait le film. L'interactivité est devenue une caractéristique générale de notre culture. Mais le regardeur peut-il faire le fil à plomb? C'est la question que je voudrais poser.

La F-M française a connu un aggiornamento extraordinaire au moment des lois sur la laïcité, en 1905, c'est-à-dire justement l'année de l'invention du cinéma. Comme l'ont remarqué beaucoup d'historiens, l'invention du cinéma est contemporaine, non seulement de l'invention de la psychanalyse, mais aussi de nombreux autres bouleversements, par exemple la peinture abstraite qui date de 1906 et la théorie de la relativité d'Einstein qui date de 1905. Elle n'a évidemment pas pu intégrer à l'époque ces domaines nés en même temps qu'elle. Elle les a exclus de son champ. A mon avis, la F-M doit commencer une autre étape se souciant différemment de la subjectivité. D'où l'idée du cinéma.

 

 

 

 

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