La première mention de la démocratie à venir, dans l'œuvre derridienne, se trouve dans ce texte, L'Autre cap. C'est un exemple parmi d'autres dans une liste des tâches qu'implique le respect des antinomies portées par l'héritage européen. Être fidèle à cet héritage, dit-il, c'est prendre acte des apories capitalisées dans la tradition européenne, endurer ces apories. On ne peut dissocier la démocratie du cap européen c'est-à-dire du capital, cette force qui se différencie d'elle-même, s'ouvre d'elle-même sur une autre rive où elle ne peut pas s'identifier, où elle ne peut que se désidentifier. C'est ainsi, comme une endurance, que la démocratie à venir est présentée pour la première fois.

Cet héritage de la démocratie, il est européen, explique Derrida, et uniquement européen. Cette insistance sur la spécificité européenne n'est pas une revendication d'origine ou d'appropriation géographique, c'est une inscription dans une série d'apories. La démocratie est le produit d'une histoire, d'un régime juridique qui a produit aussi le droit international. C'est un concept, une idée, mais contrairement à l'idée régulatrice kantienne qui met de l'unité dans la connaissance, elle n'est jamais figée. Elle reste toujours à penser, à venir. D'un côté, elle est donnée, elle fonctionne dans les institutions et la mémoire historique, mais d'un autre côté, elle ne reste en mémoire qu'en tant que ce qui porte une promesse, un futur.