Cette déclaration de paix est un acte performatif (p89). Lévinas invente un nouvel usage de vieux mots, un nouveau discours. Cette invention s'inscrit dans des traditions, des fidélités. Elle suppose l'expérience de l'altérité de l'autre, cette séparation radicale, infinie (pp88-89), au-delà de l'être, qui est déjà dans l'accueil du visage. Quoique nouvelle, la déclaration de paix d'Emmanuel Lévinas est originaire, et même pré-originaire (p92). Ce n'est pas l'hospitalité cosmopolitique de Kant, qui suppose un certain contexte politique et institutionnel, c'est un concept eschatologique, qui déborde la pensée purement politique (p93). L'horizon n'est pas celui de l'histoire ou de la fin de l'histoire, c'est celui de l'éthique en général, de l'éthicité même. L'hospitalité lévinassienne tient à l'épiphanie du visage dans le face-à-face (p63). Inconditionnelle, elle ne se laisse ni circonscrire ni dériver (p94). Et pourtant, dit Derrida en utilisant les mots mêmes de Lévinas, cette hospitalité infinie est indissociable du tiers (l'Etat, le droit, la justice, les institutions) qu'elle appelle et exclut. Le tiers n'attend pas. Aussitôt naît "la question comme question" (p63) - question qui s'adresse à l'autre, à l'intelligible, au savoir.

Par ce coup de force, d'autres mots sont "frappés d'une nouvelle empreinte" (p103). Derrida en propose une liste : vulnérabilité, traumatisme, psychose, accusation, persécution, obsession, intentionnalité, conscience, volonté, etc. Avec le sujet - exilé, émigré, étranger (p104), c'est aussi la langue qui est mise en question, mise en cause.

Dès le commencement (et même avant), l'hostilité témoigne, elle aussi, de l'hospitalité.