Dans la voie ouverte par Heidegger, seul l'étant est présent. L'être n'existe pas comme étant présent, il n'est rien, il est oublié - et pourtant "Il y a" l'être, en allemand "Es gibt Sein", l'être est donné. De même le temps est donné ("Es gibt Zeit"), mais c'est un temps qui efface le temps. L'être s'annonce à partir d'un don, d'un "ça donne" qui n'est pas une proposition, un énoncé sujet-prédicat, mais un don énigmatique : "ce don qui donne sans rien donner et sans que personne ne donne rien". Seuls l'être et le temps sont donnés, qui en eux-mêmes ne sont pas des choses (Ding), ne sont rien, qui sont quelque chose (Sache), mais rien d'étant ni de temporel.

Qu'est-ce que ce "Es", ce "Ça", ce "Il" qui donne et qui tient ensemble l'être et le temps, dans un rapport de l'un à l'autre? Qu'est-ce qui lui est propre? semble demander Heidegger. Mais ce qu'il a de plus propre (selon Derrida), c'est le mouvement d'expropriation, de dépropriation dont il est affecté. "Qu'est-ce que ça donne?" dit-on en français, et ce "ça" est en-deça de l'étant, ni subjectif, ni substantiel, ni conscient, ni inconscient, ni maîtrisable, ni symbolique.