Robinson Crusoé est terrorisé par le cannibalisme, qu'il accuse de sauvagerie inhumaine. Mais cette accusation ne tient que s'il considère les sauvages comme étant eux-mêmes des humains, des semblables. On ne peut pas accuser l'animal d'inhumanité. Il faut que les sauvages soient souverains et libres pour qu'ils puissent être accusés d'un crime, en l'occurrence de s'en prendre à la dignité humaine ou à l'essence de l'humanité. Le pire, c'est la destruction ou l'autodestruction du propre. Cela ne vaut pas que pour les cannibales de Robinson, mais pour tout "crime contre l'humanité". Chez ce criminel, ce qui est insupportable est le retour suicidaire, auto-immun, contre sa propre espèce. Quand Robinson est menacé d'engloutissement par un séisme ou une tempête, il n'a pas la même indignation. Pourtant au final il sera toujours livré à l'autre, sans défense et vulnérable.

La terreur de Robinson suppose une hiérarchie des semblables : l'animal et l'humain sont tous deux vivants (des semblables sous l'angle de la vie), mais le cannibale et l'anglais, tous deux humains, sont encore plus semblables. Donc si le cannibale mange l'autre homme, il est encore plus autre que la bête. Il y a chez l'humain anthropophage (ou criminel contre l'humanité) un surcroît d'altérité.

Figure du colonialisme. Sont-ils tous humains ?