On attribue à Héraclite la citation : Nature aime à se cacher. C'est le voile d'Isis. Celle-ci personnifie la Nature (physis) et aussi la féminité. Meurtrière de son frère et époux Osiris, elle finira par en retrouver tous les morceaux à l'exception d'un seul : le phallus (mangé par les poissons). Kant et Hegel ont tous deux évoqué cette figure dite de l'Isis voilée que les francs-maçons vénéraient comme une figure de l'Être suprême. Dans D'un ton grand seigneur adopté naguère en philosophie (1796), Kant se moque de ceux qu'il appelle les mystagogues, qui n'ont pas à travailler pour philosopher, car leur intuition, faite d'analogies ou de métaphores, leur suffit. Il les compare aux adorateurs d'une Isis voilée, qui seraient capables de percevoir le "frémissement" d'un voile "si mince qu'on puisse sous lui pressentir la déesse". Le travail sérieux de la raison, scientifique et conceptuel, est incompabile avec ce dévoilement (au sens du gala hébraïque).

Introduire dans le travail de la pensée cette figure féminine, cela reviendrait à émasculer la raison, dit Kant qui cite un des partisans (Schlosser citant Platon épistolier) des mystagogues, des oracles ou des poètes qui croient pouvoir découvrir directement, par intuition, les secrets de la nature. Sans analyser dans le détail l'argumentaire du texte kantien, on peut ici aller directement à la conclusion retenue par Derrida : qu'il s'agisse de philosophie rationnelle (Kant) ou du Platon mystique, il faut toujours exclure (ou cacher) le corps d'Isis (représentée sous les traits d'une femme aux multiples seins). Pour préserver la force de la raison, il ne faut surtout pas châtrer le logos.

Aphrodite soulevant sa tunique (statue romaine).