Que faire du regard d'une chatte qui semble implorer cet homme qui est aussi un philosophe, s'adresser à lui? On peut l'ignorer, dénier ce regard, ne lui laisser aucune place dans le corpus de sa pensée. C'est ce qu'ont fait de grands noms comme Descartes, Kant, Heidegger, Lacan, Lévinas, qui ont ajusté leur pensée à cette configuration traditionnelle où le propre de l'homme, défini par l'un ou l'autre de ses traits supposés pertinents (la parole, le rire, la pudeur, etc...), s'oppose à l'"animal en général". Mais on peut aussi refuser de s'y dérober, prendre sur soi cette adresse. C'est une position surprenante, surtout si le philosophe en question tient, en même temps, à garder aussi la position de sujet philosophique, citoyen. Être à la fois homme nu, vu par l'animal, et homme théorique, voilà ce que peu de penseurs ont tenté.

Cette posture face à l'animal qu'il choisit de soutenir, Jacques Derrida la compare à deux autres postures qu'on ne s'attend pas à voir surgir dans ce contexte : celles du poète et du prophète. Pourquoi le poète? Il est celui dont la pensée reste secrète, indéchiffrable, unique. Pourquoi le prophète? Il est le porte-parole d'une alliance dissymétrique, hétérogène.