Derrida
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Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Acte de langage, restance, secret                     Acte de langage, restance, secret
Sources (*) : Derrida, reste, restance               Derrida, reste, restance
Pierre Delain - "Croisements", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 11 septembre 2013 L'oeuvre, sa restance

[La "restance" d'un acte de langage, ce qui peut le faire réussir ou échouer - reste secrète]

L'oeuvre, sa restance Autres renvois :
   

Derrida, reste, restance

   

La "restance" de l'oeuvre

   
                 
                       

Signature événement contexte est le premier texte consacré par Jacques Derrida à l'acte de langage (en 1971, publié dans Marges de la philosophie). Le mot "secret" n'y est utilisé qu'une fois, tandis que les mots reste ou restance reviennent avec plus d'insistance, cinq fois (pp377, 378, 384 et 393). Dans Limited Inc (texte de 1977), qui est à la fois une suite et une explicitation détaillée de Signature événement contexte, le mot "secret" n'est pas mentionné une seule fois, mais on trouve 18 fois les mots "reste" ou "restance". La question du secret reste donc, dans ces deux textes, plutot secrète. Et pourtant...

 

1/ La théorie de l'écriture : secret, code et langage.

Quand la question du secret est soulevée, c'est, paradoxalement, à propos du code, c'est-à-dire là où il n'y a pas de secret. Il n'y a pas de code qui soit structurellement secret (Sec p375). La différence entre un code et un langage, c'est que le premier peut être entièrement décrit et défini. Même s'il est inconnu, même s'il est dissimulé, même s'il a été définitivement perdu et oublié, le code est, en principe, entièrement connaissable. Il est toujours possible d'en faire, en droit, une grille identifiable et transmissible. Au contraire, la langue déborde toujours la connaissance qu'on peut en avoir. Alors que la loi du langage est la dérivation, le parasitage, la supplémentation, la loi du code est la détermination absolue.

Tandis que le fonctionnement d'un code est indépendant du contexte, il est clair que la réussite ou l'échec d'un acte de langage en dépend. Mais dans quelles conditions? Peut-on construire une théorie qui permette de prévoir la réussite ou l'échec d'un tel acte? Il faut pour cela élaborer un concept rigoureux, scientifique de contexte (Sec p369). Qu'est-ce qui caractériserait ce concept-là? Un contexte déborde toujours tout ce qu'on peut en dire. Même si on cherche à en décrire tous les éléments, on ne peut éliminer la possibilité que d'autres éléments soient oubliés, omis. En conséquence, sa détermination n'est jamais assurée ni saturée. Il suppose un secret, un reste non analysable, qui ne pourrait jamais être déchiffré. En conséquence la détermination d'un contexte ne peut pas servir de critère pour prédire le succès ou l'échec d'un acte de langage.

Une autre notion peut être précisée à partir de ces termes de secret ou de reste, c'est celle de portée. En principe, la portée de la voix et du geste est infinie, elle n'est bornée que par la finitude empirique des moyens de transmission dans l'espace-temps. Mais il n'en est pas ainsi de l'écriture. Quelles que soient les médiations ou les moyens de communication, la portée de l'écriture est bornée pour une raison qui n'est pas d'espace, mais de structure : l'absence du destinataire. Quand une marque (une trace d'écriture) est émise, son émetteur l'abandonne. Mëme si un destinataire possible se trouve en face de lui, par structure, c'est un autre qui la déchiffrera. Cette absence n'est pas plus circonstancielle que l'indétermination du contexte. C'est une disparition absolue, principielle, qui brise l'homogénéité de l'espace. D'un côté, celui qui reçoit le message ne peut pas connaître l'intention de l'émetteur; et d'un autre côté, celui qui émet le message ne saura jamais comment il aura été interprété. Les horizons de sens de l'un et de l'autre ne convergent pas. Quoiqu'on fasse, il y a du secret.

En généralisant, on peut dire que tout signe écrit est une marque qui reste (Sec p377). Ou encore : toute écriture (et même toute expérience en général) est prise dans une opération singulière, la restance (Sec p378). Restance est un quasi-concept derridien (Limited Inc p106) (comme la différance, la survivance, l'archi-écriture ou l'itérabilité). Elle n'a pas de présence phénoménale, mais c'est un mouvement qui conditionne la transformation de la marque, le surgissement d'une re-marque qui est à la fois la reprise de la marque et son altération (Limited Inc p105).

Quand une marque est abandonnée, laissée à sa dérive, il se produit deux choses : une itération (elle peut être reprise), et une rupture (n'importe qui peut la reprendre n'importe comment, dans n'importe quel contexte). Derrida cite ici un autre mot qu'il utilise rarement, y compris dans ce texte (deux fois), altérité. On pourrait lire sa théorie de l'écriture comme "l'exploitation de cette logique qui lie la répétition à l'altérité" (Sec p375). Pour illustrer cela, il fait appel à l'étymologie sanskrite de iter (itara, l'autre). Qu'est-ce que l'altérité? Un effet de cette force de rupture qui greffe la marque sur d'autres marques hétérogènes. Ou encore : cet espacement qui rend l'écriture impossible (imprévisible, incontrôlable, orpheline). Ou encore : la possibilité pour une marque d'engendrer à l'infini de nouveaux contextes (Sec p381). Le mot altérité n'est pas pris dans le sens d'ouverture à autrui qu'il signifie aujourd'hui couramment, mais en rapport avec une brisure, une rupture, un arrêt. Dans la logique derridienne de l'altérité, ce qui nous sépare de l'autre, c'est son secret.

 

2/ Ce qui reste d'un acte de langage (s'il en reste quelque chose).

John L. Austin suppose que toute énonciation est destinée à la communication. Mais dans le cas du speech act (acte de langage), ce qui est communiqué présente certaines particularités. Il ne s'agit pas d'un jugement du type vrai/faux (constatif), mais d'un mouvement qui produit ou transforme une situation (performatif). Austin parle d'illocutionary ou perlocutionary force. Mais, explique Derrida, lorsqu'il s'interroge sur les conditions de réussite ou d'échec de cette force, la problématique de la communication s'avère insuffisante. On ne pourra jamais faire une liste complète des éléments qui pourraient faire échouer un rite ou un acte de langage, et on ne pourra jamais non plus être absolument sûr qu'une certaine intention ou une conscience, dans un certain contexte, produisent cet effet. Pourquoi? Parce que, dans les situations effectives où des actes de langage sont émis, une maîtrise intentionnelle complète, dans un contexte absolument déterminé, est impossible. Citation : "La présence consciente et intentionnelle [des locuteurs] implique téléologiquement qu'aucun reste n'échappe à la totalisation présente. Aucun reste, ni dans la définition des conventions requises, ni dans le contexte interne et linguistique, ni dans la forme grammaticale ni dans la détermination sémantique des mots employés; aucune polysémie irréductible, c'est-à-dire aucune "dissémination" échappant à l'horizon de l'unité du sens".

Pour Derrida, l'exposition à l'échec n'est pas un accident, c'est un prédicat essentiel, une loi. On ne peut exclure définitivement qu'un énoncé soit parasitaire ou non-sérieux, car la possibilité de sa production n'est pas une anomalie, mais la loi même du langage. Chaque énoncé performatif répète une formulation conventionnelle (une marque), mais c'est aussi un événement absolument singulier qui suppose l'absence de toute "assistance" de la part du locuteur, une brisure irréductible dans la communication.

En somme, ce qui ne va pas chez Austin (et surtout chez Searle), c'est que dans sa théorie du speech act (à supposer qu'une théorie générale soit possible, ce dont Austin doute lui-même), il faut que tout soit déterminé sans reste. Or les concepts d'écriture, de contexte, de portée, de répétition et d'altérité sont tous fondés, selon Derrida, sur la restance. Plus exactement, Austin se rend compte qu'il y a du reste, il fait honnêtement la liste des impasses et des difficultés auxquelles il se heurte, mais pour lui ce qui reste de l'opération de communication est anormal, non-sérieux. Construire une théorie correcte implique, dans sa tradition à la fois téléologique et éthique (celle de l'idéal de la conscience à soi), de s'en débarrasser, de l'exclure.

Il est toujours possible qu'une marque réitérée (une écriture) ne produise aucun effet, et que les raisons pour lesquelles elle échoue soient, quelle que soit la sophistication de l'analyse, indéterminables. Une telle situation n'est pas exceptionnelle, c'est le mouvement même de l'écriture, sa restance. Dans le cas extrême où il ne resterait absolument rien d'un écrit, où ce mouvement détruirait ses propres traces (ce serait l'altération radicale, celle de l'anarchive), il n'y aurait plus d'écriture, mais ce serait encore la loi de l'écriture qui s'appliquerait.

Nul ne peut garantir qu'une marque trouvera un héritier. Son secret est scellé, définitivement enfermé dans une crypte. Et pourtant il arrive que l'acte de langage réussisse, que quelques chose survive. Ce quelque chose n'est pas l'acte initial, mais son pharmakon, son parasite.

 

3/ Restance et effet de signature.

Signature événement contexte, le texte qui vient en dernier dans le recueil "Marges", se termine par un bloc graphique où la signature de Jacques Derrida est reproduite au moins trois fois - triple reproduction, dont aucune n'est une véritable signature (manuscrite). Rien ne garantit qu'un tel dispositif, improbable et provocateur - un simulacre de signature - puisse produire un effet, et pourtant... En tant que marque, opération disséminante, à l'écart de la présence, cette signature existe. Comment comprendre cela? Dans la problématique du secret et du reste, on ne dira pas que quelque chose de la personne "Jacques Derrida" subsiste dans la signature (c'est la thèse d'Austin, vigoureusement dénoncée par Derrida, ou encore la thèse de la permanence, que Searle attribue faussement à Derrida). Dans la dernière occurrence du mot "reste" de Sec (p393), il est question de déconstruction. Certains prédicats du "vieux" mot écriture, qui résistent à l'ancienne organisation des forces, se greffent sur un "nouveau" concept d'écriture. Ces restes, irréductibles au logocentrisme, interviennent dans le discours et aussi dans les institutions. Ce bloc graphique final de Sec, avec son simulacre de signature démultipliée, est un reste de ce genre, une marque, un legs dont le lecteur, et lui seul, a la responsabilité - rien ne l'empêche de croire, au titre de la restance du texte, en un effet de signature (effet performatif).

 

 

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Propositions

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Un énoncé performatif ne peut réussir que si sa structure est double : conforme à un modèle itérable (citation) ET événement absolument singulier

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Rien ne garantit la réussite des effets de signature, qui impliquent 1/ une forme itérable 2/ un événement unique, singulier 3/ la non-présence du signataire

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Un contexte n'étant jamais absolument déterminable, il ne peut servir ni de protocole pour un code, ni de critère pour le succès ou l'échec d'un acte de langage

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Le parasitage ou le non-sérieux que John L. Austin cherche à exclure des actes performatifs, c'est ce qui constitue la loi même du langage

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La restance n'est ni présente, ni absente; c'est ce qui, dans la structure d'itérabilité, conditionne l'altération de la marque, sa transformation (re-marque) et son surgissement

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[Aucun code entièrement déterminé n'est structurellement secret, même si son chiffrage ou sa clef est entièrement perdu, oublié]

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La rupture de l'horizon de sens qui vaut pour l'écriture vaut aussi pour tous les langages et tous les ordres de signes, et aussi pour toute expérience

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