Seules, les images ne font pas le film. Il faut leur durée, leur organisation, et aussi leur mise en jeu par les mots. Les choses ne passent à la conscience, à la mémoire et à la pensée que par les mots; et le spectateur ne se laisse interroger et embarrasser par le film que par eux. Tantôt dans l'image (in), tantôt en-dehors d'elle (off ou on), les mots sont ambivalents, polysémiques, ils sont le lieu des mensonges comme des miracles, ils peuvent faire flotter les significations ou les renverser. Nuées incertaines, ils se dérobent à la mise en spectacle généralisée.

Dans le cinéma moderne, le rapport entre les mots et les images est travaillé par le doute. Entre ces deux ensembles flous, la tension est entretenue par un jeu complexe, parfois déconcertant, de calage et de décalage, une conjonction disjonctive incontrôlable et jouissive pour le spectateur. Un principe d'incertitude se déploie. Comment marier la durée des plans avec celle de la phonation (articulation, respiration, souffle), qui sont incompatibles? Comment nouer les images aux mots? Un plan pris dans les mots, les sons, la musique ou les bruits n'a plus la même durée, sa perception n'est pas celle du temps de la caméra ou des horloges.

Eve (Joseph Mankiewicz, 1950).