Au centre du Déjeuner sur l'herbe, ce célèbre tableau peint en 1862-63 dont on trouvera ici une reproduction complète, une femme nue (Victorine Meurent) nous regarde avec provocation. Cette même Victorine, portraiturée en 1862, sera plus tard le modèle de l'Olympia. D'où vient l'extraordinaire scandale qui a entouré la présentation de ce tableau? Il accepte et ajointe deux principes opposés :

1. Les tableaux sont faits pour être regardés de l'extérieur. C'est la convention traditionnelle de la peinture (théatrale). Le spectateur est séparé du tableau, il est à distance, il faut prévoir pour lui une place abstraite. Au milieu du 19ème siècle, cela conduit à l'académisme et aux tableaux d'action anecdotiques.

2. Les personnages se présentent tels qu'ils sont, absorbés dans leurs désirs et leurs sentiments (anti-théatralité). Ici la femme nue nous regarde fixement, de manière énigmatique. Le spectateur est attiré dans le tableau. Il a le sentiment de venir en plus, en trop, et pas à la place habituelle.

Dans Le Déjeuner sur l'herbe, l'objet privilégié du regard masculin (la femme nue) réussit à échapper à cette prise et à renverser les rapports de force traditionnels.

La rupture de Manet aurait été impossible si Courbet ne lui avait pas ouvert la voie, par exemple par un tableau comme les Demoiselles du bord de Seine (1856), où la différence sexuelle est mise en question. On retrouvera la même ambiguité dans Jo, la belle Irlandaise (1866) ou La Femme au perroquet (1866).