On considère généralement le livre que Lessing a publié en 1766 sous le titre Laocoon, ou Des frontières de la peinture et de la poésie comme un signe précurseur de la modernité. Lessing montre que cette sculpture antique n'obéit pas aux vers de Virgile dont elle est supposée être inspirée. La formulation Ut pictura poesis (La peinture comme la poésie) qui était supposée caractériser la sculpture classique, ne s'y applique pas. Il est possible de généraliser ce constat : entre le registre plastique et le registre poétique, il n'y a pas de relation bi-univoque. Ce qui est présentable, visible, ne se montre pas comme ce qui se dit. Lessing est un moderne, mais sa modernité n'est pas datée. Il fait apparaître ce qui angoissait l'époque classique : que le montrable puisse déborder le dicible. Son désaccord avec Winckelmann ébranle la pensée au-delà d'une époque déterminée, et au-delà des limites de l'art. Elle correspond à une polarité alternative par rapport au classique ou au néo-classique.

Plus généralement encore, un tel débordement est produit par la technique. Quelque chose surgit, comme artefact, dans le champ de l'expérience. Il vient à exister, sans netteté, par art et artifice, dans le sensible. Un tel événement se produit avec les grands appareils des temps modernes : la perspective, la photographie, le cinéma.

Ces inventions prennent place parmi nous, nous les adoptons, mais nous ignorons une bonne part de l'énergie réelle de ce qui se passe.