C'est ainsi qu'on peut interpréter l'étrange particularité de deux versets de la bible (Nb 10, 35-36) [ils sont ici montrés et commentés dans leur texte hébraïque et là à partir de la traduction française] qui, dans les copies de la tora, sont encadrés par deux signes qui les séparent du reste du texte (ce sont des lettres noun inversées, nounim). Ces versets ne sont pas à leur place. Ils voyagent, comme l'Arche d'alliance. Ils font éclater le texte, qui peut alors dire autre chose que ce qu'il veut dire. De même que la lettre Lamed (qui désigne l'étude) dépasse la ligne d'écriture, ces versets sont Au-delà du verset (titre d'un livre de Lévinas). Ils portent un surplus de sens.

En faisant retentir une autre voix qui couvre la première, ces versets nous mettent sur le chemin d'une pensée de l'infini. Mais cette capacité est paradoxale, car l'infini ne se laisse pas englober dans le fini, il ne se laisse pas enfermer dans une présence sur laquelle on pourrait avoir une emprise. Le lieu du livre, c'est que le moins contient le plus. Le débordement est irréductible. Un mouvement centrifuge produit un surplus qui le fait éclater.

Le livre ainsi défini s'oppose à celui de la sagesse grecque ou occidentale. Ce n'est pas un manuel qu'on peut saisir ici et maintenant, où pourrait se rassembler la totalité de la science. Il n'est pas disponible au présent, ne se ferme pas dans un système. Par sa propre violence d'exclusion, il appartient à l'être éclaté. Son centre se déplace à chaque page, se disloque en fragments, se dissémine.