A un moment donné, une oeuvre se détache de son auteur. Elle est exposée ou vendue dans d'autres contextes. Le producteur se met en retrait, il n'assiste plus personnellement à l'expression de l'oeuvre, il est dépossédé par celui qui lui donne son sens (le lecteur, le spectateur). L'oeuvre désormais muette devient chose, objet ou marchandise, exposée à la contestation, à la méconnaissance ou au contre-sens. Elle joue un rôle dont seul l'historien aura connaissance. L'auteur devient un personnage interprété à partir de son oeuvre, livré à autrui ou au champ d'investigation illimité de la psychanalyse ou de la sociologie. Sa volonté s'est retirée de son oeuvre.

Les survivants s'approprient les oeuvres des volontés mortes. C'est une usurpation, un asservissement, une trahison, un destin. L'oeuvre n'est pas abordée de face (comme un visage), mais comme marchandise dans un marché anonyme, soumise à la violence, la menace, la séduction ou la corruption. Elle s'insccrit dans une comptabilité étrangère.

Malgré cela, la place de l'oeuvre reste ambiguë. Son statut est celui du corps. D'une part, il est "pour soi" (corps propre), d'autre part il est traité comme chose (corps pathologique). La volonté est séparée de l'oeuvre (trahison), mais elle se tient, inviolable, à distance de cette trahison (fidélité).