Pour réaliser cette oeuvre étrange, Duchamp a moulé son propre visage. Il s'est fabriqué une joue de plâtre qu'il a collée sur un dessin. Faut-il empêcher le son de passer? Faut-il empêcher l'air de sortir? Depuis les années 1913-14, les courants d'air provoquent chez lui un désir plus ou moins machinique de piston ou de cylindre associé au sexe. Il faut canaliser l'air par des ventilateurs ou des aspirateurs et enfermer l'air de Paris dans une fiole.

Il y a une relation entre Duchamp, l'art, la voix et la parole, ne serait-ce que par son usage prolifique des jeux de mots et des titres, du genre Prière de toucher ou Pourquoi ne pas éternuer? , des titres qui ont la particularité d'être à l'impératif et de contenir une allusion à l'émission vocale (éternuer) ou à l'invocation (prier). Une autre de ses oeuvres, A bruit secret (1916), représente une pelote de ficelle enfermée dans une sorte de boîte ouverte.

Parfois, Duchamp se montre avec des objets dans la bouche. Pas seulement sa langue, une cigarette ou une pipe, mais aussi un dentier, comme dans la photo de Man Ray Rue de la Vieille Lanterne (1936).

Il signe son fameux readymade intitulé Fontaine MUTT, ce qui signifie à peu près "imbécile" ou "bâtard" et fait penser à mute (muet), en français comme en anglais.

Duchamp a daté et signé, en bas, et il a écrit cette légende : Avec une langue dans ma joue. Avec la joue moulée dans du plâtre, peut-on encore parler? Apparemment non. On ne peut plus rien articuler. Tout ce qu'on peut faire, c'est écrire un titre, en espérant qu'il sera lu.

Beuys a repéré la relation assez particulière de Duchamp au silence. Un jour, il a organisé une performance où il tenait une pancarte : Le silence de Duchamp est surestimé. Mais que dire de lui, Beuys, est-ce que par hasard on ne surestimerait pas aussi son silence feutré?