L'espace n'est pas une donnée stable, mais une expérience perpétuellement élaborée. Ce n'est pas une donnée pure des sens, mais une construction liée à des systèmes de valeurs. Les impressionnistes, initiateurs de cet ordre figuratif, n'ont pas découvert la façon dont les hommes ont, de toute éternité, éprouvé leurs sensations. Ils ont inventé un nouveau langage, un nouvel ordre, un nouvel assemblage conventionnel. La représentation qu'ils proposent n'est pas plus fidèle que les autres, elle offre un surplus de signification.

La vision moderne diffère de la perspective classique non seulement par la dissociation des différents points de vue, mais par la dissociation de l'objet. Chez Delaunay par exemple (la Tour Eiffel), la position de l'observateur est morcelée, mais l'objet observé l'est aussi. L'objet figuratif est le résultat d'un montage différentiel. L'imaginaire de l'artiste tient compte des expériences de son temps : la vitesse, le récit instantané des événements par la radio, l'infiniment petit. L'apparence globale ou la composition comptent moins que l'attention au détail, au particulier, à la mise en ordre d'éléments fragmentaires. Les objets ne sont pas définis par leur usage, mais par leur nature intime.

Cet ordre figuratif aurait été impossible sans la civilisation mécanique : fabrication de matériaux standard, transport en grandes quantités, montage rapide d'éléments tous préparés, nouveaux principes combinatoires, etc... La matériau de base n'est plus naturel, mais lui-même un produit.