Les impressionnistes ne prennent pas parti pour un courant social ou politique (comme Courbet). Pour eux, l'essentiel est de peindre dans le respect absolu des sensations. Ils renoncent pour cela à des conventions séculaires : la forme des choses n'est donnée ni par la nature, ni par les formules idéalisées des musées; le découpage de la perspective n'est pas un équivalent positif de la réalité; la lumière du jour ne tombe pas de haut à 45°, encore moins dans un atelier; une seule méthode de broyage des couleurs n'est pas suffisante; les relations entre formes et couleurs ne sont pas fixées pour l'éternité.

Au même moment, Chevreul commençait à analyser la lumière au lieu de mesurer sa vitesse, introduisant une conception entièrement nouvelle des couleurs. Même si Chevreul et les impressionnistes se sont ignorés, ce n'est pas un hasard si leur démarche est simultanée. Si la pensée plastique rejoint, sans concertation, la pensée scientifique (Pasteur) et la pensée technique (Eiffel), c'est parce que la libération à l'égard de la pensée traditionnelle est un fait psychologique et social qui dépasse le seul secteur artistique.

Cinquante ans avant la théorie ondulatoire de la lumière, Monet annonce l'art des temps modernes en inventant un objet de type nouveau qui varie suivant les transformations du milieu. Il ne s'agit pas de la découverte d'un ordre éternel des sensations [qui viendrait se substituer à l'ancien académisme], mais d'un nouveau langage figuratif correspondant à la modernité [qui est elle aussi elle aussi une époque historique transitoire].