On trouve dans ses cahiers une note sur la mort de son père le 9 juillet 1504. Elle est d'une précision tatillonne qui montre l'inhibition de l'affect. Son père s'est marié quatre fois et n'a eu de nombreux enfants qu'avec sa quatrième femme (Léonard, le premier-né, était le fils illégitime d'une servante). Il a été absent de sa vie les premières années et très présent les suivantes. Léonard n'a pas eu d'enfants, mais il a créé des oeuvres, et s'en est aussi peu soucié que son père ne s'est soucié de lui. Lorsque son ancien protecteur Lodovico Sforza est mort dans un cachot français, Léonard a écrit : "aucune des oeuvres qu'il avait entreprises ne fut menée à terme"; lui-même laissa ses oeuvres inachevées. Premier investigateur moderne de la nature, il rejetait l'autorité. Il n'aurait pu le faire s'il n'avait appris dans ses premières années à renoncer à son père. Il a été accusé d'incroyance et d'apostasie de la foi chrétienne, mais n'en a rien dit. Il avait de l'admiration pour le Créateur, mais avait renoncé à la religion dogmatique. Dans son art, il a libéré les figures saintes de leurs derniers liens avec l'Eglise et les a humanisées. Il a rendu aux hommes le droit à la sensualité et à la jouissance de la vie. Il a conservé longtemps quelque chose d'infantile. Adulte, il continuait à jouer. Quiconque a, dans ses années d'enfant, connu la félicité érotique suprême, s'éloigne avec lenteur de la pulsion ludique.