Jacques Derrida commence par mentionner les auteurs qui ont proposé une interprétation soit critique, soit clinique de l'œuvre d'Antonin Artaud, de sa folie, en la rapprochant parfois de celle de Hölderlin (Blanchot, Foucault, Laplanche). Que le commentaire soit médical (psychanalytique, psychologique), littéraire, philosophique ou esthétique, il tend à réduire le texte d'Artaud à un exemple d'une thématique qui lui est extérieure. C'est une démarche abstraite, violente, qui ne prend pas au sérieux (ou ne respecte pas) l'œuvre elle-même, son aventure de pensée, sa singularité sauvage. Comme Hölderlin ou Nietzsche, les "fous" de la philosophie, Artaud est unique, irréductible. Les tentatives pour en saisir l'essence se brisent devant sa singularité et sa résonance propre, renforcée par le fait qu'il prétend ne laisser ni oeuvre, ni trace : juste une parole sans permanence, un cri.

Alors comment procéder? On ne peut pas directement accéder à ce qui fait son unicité (ce que Derrida appellera plus tard son secret). Il faut procéder par "voie négative" en repérant le "sol archaïque", cette "écriture plus ancienne que lui" (Artaud), l'"archi-texte" ou l'"archi-parole" que sa révolte, ses protestations, ses hurlements, ses constructions théoriques, laissent entendre. Artaud ne nous fait pas la leçon. C'est à nous d'entendre son unicité.