Derrida
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                            NIVEAUX DE SENS :

 

 
     
Un athéisme athée                     Un athéisme athée
Sources (*) :                
Gil Aelligam - "Semences d'a-théisme", Ed : Galgal, 2007, Page créée le 19 octobre 1998

Un ou des athéismes

   
   
   
                 
                       

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L'athéisme est au coeur de notre époque, et ce dans tous les sens du terme. Comprenez-moi bien. Il ne s'agit pas seulement de constater qu'il y a beaucoup d’incroyants de nos jours, voire beaucoup d'athées. Ça, n'importe quel institut de sondage est capable de vous le confirmer. Non, je ne parle pas de la quantité, je parle d'un problème qualitatif plus difficile à expliciter : il s'agit de la place de l’athéisme dans notre façon de penser, dans notre façon d'être, dans les rituels de notre société. Cette place, elle est centrale. Bien qu'il reste encore beaucoup de croyants, la religion est devenue périphérique. Et même si les croyants étaient majoritaires, ils seraient quand même à la périphérie, parce que l'athéisme est devenu l'axe premier des croyances.

Evidemment, mon opinion n’est pas partagée par tout le monde. Sergueï, par exemple, met l’athéisme et la religion sur le même plan. Il pense qu'il y a entre les deux une continuité fondamentale, voire une identité. Selon lui, ils ont fini par converger, et le résultat de cette convergence est la science, ni plus ni moins. La science est l'aboutissement final de la théologie, et aussi des efforts pour nous en libérer. En d'autres termes, parmi les sources de la science, certaines sont religieuses et d'autres sont agnostiques ou athées, sans qu'il y ait de différence fondamentale entre les deux. Il me semble que, sous l'angle de l'histoire de la pensée, le point de vue de Sergueï est difficile à contester. Mais aujourd'hui la symétrie qu'il pose me paraît trompeuse. Il y a bel et bien une différence de nature entre l'athéisme et la religion, car l'athéisme vient mettre un point d’orgue et un point final à la modernité, tandis qu'au contraire la religion est le symbole d'une certaine continuité. C'est pourquoi je continue à penser que l’athéisme est une question centrale, même si j'ai des difficultés à exprimer de quel genre de centre il s’agit.

Je dois dire que cette question de l'athéisme me travaille, même si je n'en parle avec personne. Pour la majorité des gens, il faut bien reconnaître que ce n’est pas un souci de tous les jours. On a d’autres chats à fouetter, d’autres problèmes à régler, à quoi bon embêter les gens avec des préoccupations qui au premier abord ne les touchent pas personnellement? Pourtant j'ai l’intuition que cette préoccupation là porte un enjeu tout particulier, et que notre avenir est influencé par la façon dont on la traitera. Donc je ne renonce pas, j’essaye de répondre à la question : “Qu’est-ce que l’athéisme?”, et ça n’est pas simple, c’est le moins qu’on puisse dire.

Au fond, c’est peut-être de cette constatation-là que j’aurais dû partir, de ce fait que personne ne se demande jamais ce que c'est que l'athéisme. Personne. On se contente de l’opposer à la religion et on ne le définit jamais. Mais quelle importance après tout? Il y a des gens qui croient en dieu, et d'autres qui n'y croient pas. Est-ce que ça ne devrait pas nous suffire? Est-ce qu'il y a un autre enjeu dans l'athéisme que ce simple énoncé? A quoi ça sert de se demander ce que c’est, l’athéisme?

Donc, je m’intéressais au sujet et, à force de chercher, je trouvais des interlocuteurs. Je discutais avec Jorge, et lui prétendait que “croire en dieu” ou “ne pas croire en dieu” était une affaire purement personnelle. Son raisonnement avait le mérite de la cohérence. Tu fais un choix, disait-il, tu fais un pari comme le proposait Pascal, en fonction de ce qui est le plus important pour toi dans la vie. Si tu te dis que d’un côté de la balance il y a cette tristesse d’une vie qui va s’arrêter un jour, sans crier gare, une fois pour toutes, et que de l’autre côté il y a une possibilité peut-être infinitésimale de vie infinie et bienheureuse, alors tu choisis de croire. Peu importe pour toi que dieu existe ou non, tu te dis qu’il vaut mieux croire qu’il existe. Mais tu peux aussi faire le choix inverse. Tu peux te persuader qu’un plaisir immédiat et certain, auquel tu as droit dans le monde athée, a plus de valeur qu’un plaisir éventuel et incertain, auquel tu pourrais éventuellement avoir droit dans un autre monde improbable. Ça n’est jamais que la démarche hédoniste la plus courante : je choisis une fois pour toute l’inexistence de dieu, je m’en considère comme satisfait, parce que j’en attends plus de plaisir. En résumé, Jorge est persuadé que le choix de l’athéisme est purement individuel, que la question de l’existence ou de l’inexistence de dieu a plus rapport avec ton vécu, tes joies, ton intérêt, qu’avec la présence réelle d’un objet réel dont on sait si peu de choses et qu’on peut toujours appeler dieu, pourquoi pas.

Moi, pour ma part, je ne partage pas la façon de penser de Jorge. Je pense que l’athéisme n’est pas une problématique individuelle mais un phénomène social, une question que la société nous pose à tous, collectivement, et à laquelle nous ne répondons pas de façon individuelle, mais d’une façon normée, collective, d’une façon qui nous est imposée par la société. Parce que, de toute évidence, on ne peut pas se poser la question de l’athéisme indépendamment de son époque. Je me rappelle que dans les années 60, une discussion avait agité les milieux spécialisés à propos de Rabelais. Quelques universitaires se posaient la question suivante : Rabelais croyait-il en dieu, ou bien était-il athée? Il était difficile de trancher. Chacun avait ses arguments, et finalement on s’est aperçu que la question n’était pas pertinente. Au seizième siècle, Rabelais ne pouvait pas être athée, car l’athéisme n’existait pas. La croyance en dieu était aussi naturelle que la pluie et le beau temps; personne n’y échappait. Rabelais disait des gros mots, il jurait, il faisait de la provocation, il plaisantait, mais il n’y croyait pas, il n’était pas vraiment athée. Eh bien aujourd’hui, je pense qu’on peut dire exactement l’inverse. A notre époque, tout le monde est athée, nous baignons tous spontanément dans l’athéisme. Ceux qui sont croyants n’échappent pas à cet athéisme ambiant. Leur foi suppose un effort, une force de conviction qui les éloigne de la croyance commune. Aujourd’hui, les croyants ne peuvent être croyants que sur le fond d'un athéisme dominant, sur la base d’un acte supplémentaire et décisif, un acte qui les distingue de la croyance commune. Quelqu’un qui croit en dieu n’est jamais qu’un athée qui a refusé l’athéisme.

Bon. Je sens que je commence à vous embêter sérieusement avec ces généralités. Et je suis d’accord avec vous, tout ça ne serait pas bien grave s’il n’y avait pas eu le 20ème siècle. Car il faut bien le reconnaître, l’athéisme, au 20ème siècle, a été un cauchemar. C’est une des pires expériences qu’ait pu faire l’espèce humaine. En effet, s’il n’y avait pas eu l’athéisme, est-ce qu’il y aurait eu Staline? S’il n’y avait pas eu l’athéisme, est-ce qu’il y aurait eu Hitler? S’il n’y avait pas eu l’athéisme, est-ce qu’il y aurait eu la montée de la drogue, de l’immoralité, de la violence? Si je pose le problème comme ça, j’ai l’air de me situer du côté du moralisme et de la religion, ce qui n’est évidemment pas du tout mon propos. D’ailleurs, je vous dis tout de suite qu’il y a une réponse que je ne discuterai pas, c’est celle de ceux qui proposent de revenir à la religion pour résoudre les problèmes de l’athéisme, c’est-à-dire de revenir en arrière. Le problème, c’est qu’on ne revient jamais en arrière, et que la religion ne se décrète pas. On peut toujours faire des coups d’Etat intégristes, on ne peut jamais faire changer d’avis à la majorité des gens. Pour moi, la religion sous sa forme traditionnelle est dépassée, il n’y a pas à revenir là-dessus, chacun son point de vue.

Mais je voudrais introduire à une question un peu différente, et qui serait la suivante : Qu’est-ce qui viendra après l’athéisme? Y a-t-il un post-athéisme? S’il faut remplacer l’athéisme par autre chose, c’est par quoi? En voilà une idée me direz-vous, et avant de la poser, il faudrait peut-être déjà comprendre quelque chose à la situation actuelle, et sur ce point, nous n’avons pas avancé d’un poil. Alors, avant d’aller plus loin, je vais vous dire un mot de la position de François.

Pour François, c’est simple, l’athéisme n’existe pas. Il n’est qu’une béquille, un tenant-lieu, un regroupement de substituts hérités du passé et dont on n’arrive pas à se débarrasser. Pour éviter de parler de dieu, sujet devenu scabreux, on parle de l’Autre, de l’altérité, de l’ailleurs, du là-bas, de l’au-delà, du transcendant, de l’invisible, de l’indicible, de la Chose, de tout ce qu’on voudra. François pense que ces notions n’ont pas grande signification et que l’athéisme ne sert qu’à les ramasser comme une voiture-balai et à les regrouper dans une auberge espagnole qui nous apportera un petit peu de repos mental. L’athéisme est la décharge de toutes nos illusions. En réalité, dit François, à notre époque, il n’y a qu’une chose qui marche, c’est la science. Tout le reste n’est que littérature, appelez-là athée si vous voulez, ça n’a pas beaucoup d’importance. L’athéisme a été utile parce qu’il nous a affranchi d’un certain nombre de limites traditionnelles, mais maintenant le seul ordre qui subsiste est celui de la science. C’est un ordre implacable auquel nul n’échappe. Quels que soient ses défauts, cet ordre-là enterre les vieilles problématiques. Sachez-le, la science est le moyen le plus puissant qu’a trouvé l’homme pour faire concurrence à dieu, et toute question philosophique, maintenant, y est subordonnée. Voilà la position de François, qui laisse peu de place à la discussion, il faut bien le reconnaître. C’est bien pour ça d’ailleurs que cette position me pose un gros problème. Car si nous suivons François, il n’y a plus aucune place pour aucune subjectivité. L’humanité est expulsée de l’affaire et, d’une certaine façon, la science devient une nouvelle religion. Or moi, dans la société actuelle, je constate exactement le contraire. L’humanité existe toujours, il y a toujours des sujets capables de penser par eux-mêmes, et c’est pour ça que je m’intéresse à l’athéisme et non pas à la science. Je laisse donc François à ses spéculations, et je poursuis mon propre chemin.

Comme vous pouvez le constater, on vient à peine de commencer et j’ai déjà fait allusion à au moins trois ou quatre conceptions différentes et même incompatibles de l’athéisme. En effet, quel rapport y a-t-il entre la conception de Jorge, celle du choix individuel, celle de Sergueï qui pense qu'il diffère peu de la religion, et celle de François, pour qui l’athéisme a involontairement conduit à une sorte de nouvelle alliance entre l’homme et la nature, alliance qu’on appelle la science ?

Mais nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin. Tiens, je vais vous dire un mot de la conception d’Arno. Là, c’est un peu compliqué, parce qu’Arno a été influencé par ces deux immenses penseurs que sont Benoît Spinoza et Gilles Deleuze, et le résultat est qu’il ne pense pas exactement comme tout le monde, il a ses mots propres et ses idées propres. Mais bon, c’est pas pour ça qu’il faut pas l’écouter, n’est-ce pas? Donc, pour Arno, la question doit être posée au niveau du plan d’immanence. Ah! le plan d’immanence, je sens que ce jargon vous fait fuir. Si vous voulez, je peux utiliser un autre mot, je peux l’appeler planomène, mais je suppose que ça n’éclairera pas beaucoup plus votre lanterne. Et pourtant, dans mon questionnement sur le post-athéisme ou ce qui pourrait en tenir lieu, je ne peux pas faire l’impasse sur ce fondateur qu’a été Spinoza, lequel Spinoza a littéralement inventé la question de l’athéisme en intitulant son livre principal “L’Ethique”. Ça n’est quand même pas anodin, ce titre. Évidemment, Spinoza ne s’est jamais reconnu comme athée, parce qu’à son époque, probablement, c’était inavouable, mais le point essentiel n’est pas là. Le point essentiel est qu’il a posé la question sous la forme suivante : “Dans un monde d’immanence, quelle est la place du sujet humain? Quelle est l’éthique qu’il faut pratiquer?”. Telle est bien la question fondamentale, telle est la sacrée question qui me touche au plus près.

Donc, pour en revenir à Arno, en quoi consiste sa position? Si je devais la résumer en une phrase, une seule, je dirais que, pour lui, l'athéisme est la persévérance de l'être. L’être persévère, voilà ce qu’il constate, point à la ligne. La persévérance est pure affirmation et se situe sur un seul plan, toujours le même (que Gilles Deleuze compare à un plan fixe au cinéma). Toute transcendance est une illusion. Quelle forme prend cette persévérance? C’est une puissance. Pour l’être humain, c’est une puissance de désir que Spinoza appelle “cupidita” et que Deleuze désigne sous le nom de “corps sans organe”. Pour les autres substances, c’est un processus de production dépourvu d’instance extérieure, une pure combinaison de “plus” et de “moins”, comme en informatique. D’ailleurs Arno fait souvent remarquer que ce qu’on appelle aujourd’hui le cyberespace, l’espace informatique, est en profonde connivence avec la pensée spinozienne. Ainsi le logos et l’activité symbolique humaine ne seraient-ils, selon lui, que de simples croyances, des strates de pensée utiles mais trompeuses.

J’ai discuté des nuits entières avec Arno, et comme certains de ses arguments me paraissaient très forts et d’autres insoutenables, j’ai fini par me dire que c’était probablement une erreur d’opposer l’immanence à la transcendance. A mon avis, elles se complètent et l’éthique post-athée que nous recherchons devrait être fondée sur les deux. Le monde nous est donné double, il faut le prendre et l’accepter double. Voilà un point de départ bien vague, je le reconnais, mais il faut partir d’idées simples.

Mais j’allais oublier que je me trouve devant une assemblée maçonnique, ce qui m’oblige à évoquer le point de vue de Gaëtan. Ah, Gaëtan! Je préférerais n’en rien dire. Mais raisonnablement, je n’ai pas le choix. Voyez-vous, à mon avis, les pires, parmi les athées, sont ceux qui ont bonne conscience, ceux qui croient avoir raison une fois pour toutes. Ceux-là sont, de mon point de vue, les mauvais athées. Là, je touche à un sujet qu’il est assez délicat d’évoquer en maçonnerie et qui s’appelle la laïcité. Ah! mot sacré que celui-là. Si je peux résumer ma position, je dirais que les mauvais laïcs sont ceux qui conçoivent la laïcité comme un absolu. Ils pensent qu’être athée, ça veut dire faire la guerre à la religion. Il y a des gens qui n'ont peur de rien, y compris des mots creux. Ceux-là seraient capables, par exemple, de faire une carrière de conservateur du musée de l’athéisme au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Leur athéisme à eux est gravé dans le marbre. Ils ne perdent pas leur temps à comprendre les autres car ils ont déjà réponse à tout. Gaëtan ne fait pas tout à fait partie de cette catégorie. Il est, lui, persuadé que la laïcité trouve son fondement dans le droit, pas le droit des peuples mais le droit tout court, le droit républicain. Mais d'où vient le droit? Gaëtan préfère ne pas répondre. Il sait que la religion et la justice ne se sont séparées que vers le 16ème siècle et donc qu'elles ont des racines communes. Dieu ayant disparu, le droit remplace entièrement tout l'édifice de la religion. Mais d'où vient la légitimité du droit? De la République, répète Gaëtan, avec toutes ses institutions, notamment électives. En somme, de son point de vue, Dieu est mort pour la loi, et la loi nous protégerait contre son retour. Voilà au moins qui nous garde de toute métaphysique. Le pragmatisme du droit permet de se conduire comme un athée, même quand on ne l'est pas.

Heureusement, le monde de la laïcité n’est pas composé seulement de mauvais laïcs. Il y a aussi les bons laïcs. Ceux-là fonctionnent comme Jacques. Que dit Jacques? Il soutient que la laïcité ne peut pas trouver son fondement en elle-même. Ça n'a l'air de rien, mais c'est très audacieux. Si elle n'est pas fondée en elle-même, en quoi est-elle fondée? Et est-elle encore une laïcité? Pour Jacques, être laïc, c’est se situer au point de croisement éminemment variable d’une multiplicité de traditions. Parier que ces traditions ne s'opposeront pas, mais convergeront quelque part, est un pari risqué, encore plus risqué que le pari de Pascal. L'univers est complété par le multivers, mais reste un univers. Les religions ne sont pas condamnées, mais relativisées. Cette position est plus exigeante que celle des républicains pur sucre. En pratique, il est plus difficile d’être bon laïc que mauvais laïc, et l’athéisme a jusqu’à présent aussi souvent conduit à des religions de substitution qu’à la tolérance optimiste de Jacques. Mais laissons là la discussion sur la laïcité, qui est si vaste que nous risquons tous de nous y noyer.

La question, donc, pour moi, se pose de la façon suivante : Comment dépasser l’athéisme tout en restant athée? Peut-on imaginer que l’athéisme devienne un permanent dépassement de lui-même, sans pour autant se renier? Cette façon de poser la question n’est pas anodine. Elle se situe dans le temps. Elle suppose qu’à différents moments, on ne peut pas apporter la même réponse, ce qui est un choix philosophique, un choix en rupture avec une tradition de type “cosmique” qui laisse entendre que l’univers serait comme il est une fois pour toutes, un choix qui récuse toute conception statique de l’athéisme.

Melissa, elle, se désintéresse de toute perspective historique. Je vais tenter de vous restituer à peu près ce qu’elle dit. “Si je pose la question : Qu’est-ce qu’un athée?, je peux donner deux types de réponses. La première est : “Un athée est quelqu’un qui ne croit pas en dieu”. Cette phrase-là met l’accent sur la croyance. Ou bien je peux dire : “Un athée est quelqu’un qui croit que dieu n’existe pas”. La seconde formulation est la plus radicale. Dans la phrase “Un athée est quelqu’un qui ne croit pas en dieu”, la proposition est seulement négative : l’athée ne croit pas en dieu, mais la place de dieu subsiste, la problématique de la religion est conservée. Au contraire la phrase “Un athée est quelqu’un qui croit que dieu n’existe pas” comporte une proposition positive : “Dieu n’existe pas, affirme l’athée.“" C’est, si l’on veut, un pas de plus dans l’éloignement de dieu. Melissa n’hésite pas à la franchir, ce pas, elle va même beaucoup plus loin, elle est décidée à fonder sa conception du monde sur cette affirmation. Qu’est-ce qui se substitue à dieu? Un rien qui fabrique du silence, un ciel déshabité qui résonne au-dessus de nous et nous oblige à construire sur ce fondement incertain. Pour Melissa, ce silence n'est pas un phénomène négatif, mais positif. C'est sur lui qu'il faut bâtir.

Mais il y a encore plus radical quel la position de Melissa. Si l’on suit Grégoire, on a l’impression que l'athéisme nous fait revenir au tohu-bohu initial de la bible, il nous laisse dans un monde où il n’y a plus ni distinction, ni échange, ni lien, et où à la limite il n’y a même plus d’homme. Il n’y a plus de création, il n’y a plus d’origine, plus personne ne te voit ni t'entend, le néant est au coeur du langage. Cela conduit à une psychologie plutôt dépressive, du genre, “Pourquoi suis-je venu et n’y avait-il personne?”, voire à un certain désespoir. Je ne dis pas que Grégoire a tort, mais je pose la question suivante : Qui aura le courage de se situer durablement sur ce terrain-là?

J’en viens donc à la position de Nata qui exerce sur moi, je dois le reconnaître, un certain pouvoir de séduction. Pour Nata, l’athéisme est causé par un second retrait de dieu, je dis bien un second, et pourquoi un second? Parce que, selon Nata, à l’époque des prophètes, dieu s’est retiré une première fois. Depuis cette époque, il n’a plus fait de miracles, il n’a plus parlé à l’homme, il a cessé d’avoir la moindre influence sur sa propre création. Il a laissé l’homme libre de faire ce qui lui convenait. Mais alors, s’il s’est déjà retiré une fois, quelle est la signification de ce second retrait? C’est que non seulement dieu s’est retiré, mais que le désir de dieu s’est retiré lui aussi. Comme le dit le poète Edmond Jabès : “Trois fois dieu s’est retiré : dans le Nom, dans l’éclatement du Nom et dans l’effacement de cet éclatement”. Nous sommes aujourd’hui dans la phase de l'effacement. Il n’y a pas que la présence de dieu qui se soit évanouie, il y a aussi la possibilité même de la prière.

Mais cet effacement auquel semble avoir conduit l’histoire humaine rencontre certaines limites. Pour paraphraser Goethe qui disait que “seul un dieu peut se mesurer à un dieu” , Nata défend que, pour devenir un fondement suffisamment solide de l’action humaine, l’athéisme a besoin de toutes les ressources mentales de l’humanité, y compris la science, la poésie, la philosophie et la Cabale. D’ailleurs Nata est une grande cabaliste. Sans cette tradition, elle avancerait avec moins de sûreté dans son questionnement.

Quand l’absence elle-même est absente, que faut-il faire? demande Nata. Eh bien, il faut rire répond Ouzza. Car Ouzza a une définition assez particulière de l’athéisme. Pour llui, l'athéisme est le rire de dieu. De quoi dieu rit-il? Il rit de lui-même, et c’est ainsi qu’il cause le monde. Mais quand dieu s’en va, le rire reste. C’est ce qui rend l’athéisme à la fois comique et tragique. Avec dieu, toute la chaîne des causalités s’est retirée, et la cause ultime, celle qui est pourtant si fondamentale pour nous, est devenue risible.

Bon dit Gil, ce tour d’horizon déjà ennuyeux risque de devenir insupportable. Il faut bien que j’en arrive à la conclusion. Ce nouvel athéisme dont j’ai eu la présomption de vous parler, le post-athéisme, qu’est-ce que c’est? Je vais essayer d’en donner une ou deux définitions. Le monde existe, c’est un fait, on ne peut pas en disconvenir. Il existe, mais quelle est sa cohérence? Quelle est sa consistance? Supposez avec moi que le monde n’ait par lui-même aucune consistance, qu’il ne soit par lui-même qu’incohérence et dispersion. Allons plus loin. Supposons que non seulement aucune cohérence ne lui vienne du ciel, mais qu’en outre, depuis la terre, l’homme aussi renonce à lui donner une cohérence, quelle qu’elle soit. Je vois d’ici votre désapprobation. Est-il possible de vivre dans un monde totalement incohérent? Probablement pas. Mais ce qu’on peut faire, peut-être, c’est construire un monde qui accepte sa propre incohérence, et même, qui s’en enrichisse. Comment faire pour arriver à un tel résultat? Il faut imaginer que la subjectivité humaine puisse y trouver un terrain d’épanouissement. C’est tout ce que j’ai à proposer, je reconnais que ça n’est pas grandiose. L’athéisme est un pari. Mais ce n’est ni le pari que dieu existe, ni le pari que dieu n’existe pas, c’est le pari que le sujet existe, un pari qui d’ailleurs est loin d’être gagné. Dieu n’est pas mort, il est inconscient, et il fait exister le sujet. Comme le disait Gert, un athéisme qui ne serait pas fondé sur le désir n'aurait aucun avenir.

Mais pourquoi s’engager dans cette voie? Pourquoi vouloir à tout prix fabriquer autre chose que les idéologies déjà en place? “Autre chose”. Ah! direz-vous, voilà l’autre qui revient, le petit autre, le grand Autre, l’altérité et tutti quanti. Eh bien non, vous vous trompez, pour une fois, ça n’est pas exactement ça. Certes, l’athéisme dont il s’agit invoque une altérité, je ne le conteste pas. Mais ce n’est pas celle qui n’est plus là, c’est celle qui n’est pas encore là. “Une altérité pourrait advenir”, dit-il, par le moyen d’une position de sujet, c’est-à-dire d’une politique. Car de même que toute religion est politique, tout athéisme est politique. Pour fabriquer quelque chose à partir de l’inconsistant, de l’inconvenant, de l’hétérogène, de l’illogique, l’être humain dispose d’un instrument qui lui a été donné par on ne sait qui, peut-être par dieu, après tout, qui sait? Cet instrument, c’est le langage. Mais le langage lui-même n’a ni autonomie ni cohérence, il est dépendant du désir. Ou, pour dire les choses autrement : le désir se cache derrière deux voiles qui sont le langage et le symbole. Si l’on reconnaît que ces deux voiles ne sont déterminés par aucune cohésion originaire, alors ils sont des instruments de liberté. Pour fabriquer du monde à partir de l’inconsistance, il faut savoir faire un bon usage du symbole. Mais pour cela, il ne faut jamais oublier que l'athée est toujours en exil. S’il pense avoir trouvé son terrain d’atterrissage, son terrain d’élection, il risque fort de chuter dans le mauvais usage du symbole.

 


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