Derrida
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TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Une signature à entendre au bord du corpus                     Une signature à entendre au bord du corpus
Sources (*) : Sur l'"autobiographie", alliance entre vie et mort               Sur l'"autobiographie", alliance entre vie et mort
Pierre Delain - "Pour une œuvrance à venir", Ed : Guilgal, 2011-2017, Page créée le 16 septembre 2013 Oeuvre, arrêt, différance

[La signature derridienne n'est rendue effective qu'au bord de son oeuvre, là où le corpus se noue à la vie]

Oeuvre, arrêt, différance Autres renvois :
   

Le concept d'oeuvre, présentation

   

Derrida, l'art, l'oeuvre

   
                 
                       

Selon qu'on qualifie « ce qui reste » de Jacques Derrida de corpus ou d'œuvre, dit-on la même chose ? Je répondrai par une hypothèse : entre le corpus et l'œuvre, ce serait le biographique qui opérerait différemment. La distinction entre le corpus et l'œuvre pose une question d'auto-biographie, c'est-à-dire d'auto-affection de la vie. Par rapport au corpus ou par rapport à l'oeuvre, ce n'est pas du même rapport à la vie qu'il est question. Il faut prendre au mot Jacques Derrida et se tenir à l'écart de ce qu'il dit vouloir faire, des intentions qu'il affirme. Ce que "fait" son corpus s'est déjà, depuis toujours, détaché de lui. Il (le corpus) invite à inventer, chaque fois, le signataire de sa mise en oeuvre. Il (le corpus), éclaté, divisé, inachevé et imprévisible, intervient directement dans la vie, performativement. En va-t-il de même avec l'œuvre ? N'est-elle pas plus académique, plus balisée, plus commentée, mieux protégée ? Il se pourrait que Jacques Derrida, signataire officiel de l'œuvre, y soit enkylosé, encrypté. Ce mort vivant ne se manifeste pas directement, mais dans l'inconscient de l'autre. Il y aurait dans l'œuvre un degré de refoulement supplémentaire, qui nous ventriloquerait sans intervention de notre part. Et il faut que nous vivions avec ça, le corpus et l'œuvre. C'est ce il faut, irréductible et inavoué, qui est l'énigme.

Il en résulte que le lecteur n'est pas seulement un lecteur. Lui aussi est engagé dans sa biographie, sa lecture est aussi une autobiographie. Il en résulte une série d'apories, de doubles injonctions qui, en valant pour l'œuvre à lire, valent aussi pour lui :

 

1. Un autobiographie récurrente, à la fois envahissante et toujours retirée.

D'un côté, l'auto-bio-graphique habite les œuvres, à tel point que parfois, comme chez Nietzsche, Genet, Ponge et peut-être Derrida, tout ce qui est écrit peut se lire comme la mise en scène d'un immense paraphe. Mais d'un autre côté, dès qu'un nom ou une signature s'engage dans un texte, le "je", le "moi" ou l'"autos" se disloquent - car aucune lecture ne peut en restaurer l'unité. Le biographique se retire du texte, son lieu devient introuvable. Ce qu'il en reste, le récit, n'est qu'une fiction, un supplément, l'occasion d'amener et de faire venir d'autres associations. Les bords de l'œuvre ne restaurent pas le moi, c'est le chemin qui conduit d'une fiction à une autre fiction.

 

2. Une œuvre théorique, mais soigneusement datée et signée.

On connaît le soin avec lequel Jacques Derrida a conservé tous les documents, tous les écrits et toutes les traces de sa « vie », en les datant, les signant, les déposant dans des archives. Cette extrême attention peut être considérée comme un souci typiquement philosophique de transformer des traces illisibles en documents lisibles. Mais c'est aussi une façon de faire venir de l'hétérogène, du vivant, dans le texte.

 

3. Un rapport ambigu au savoir académique, contaminé par le plaisir, le désir.

Cette oeuvre, qui tend à récuser le savoir comme valeur, est aussi le lieu, presque inépuisable, d’une impressionnante érudition. D’un côté, on trouve dans le corpus des affirmations radicales sur la philosophie qu'il faut transformer, tympaniser à coups de marteau, l’université qu’il faut déstabiliser, désorganiser ou la raison dont il faut briser la circularité par le battement de paupières de la pensée. Mais d’un autre côté, la quasi-totalité du corpus s’inscrit dans la philosophie, l’université ou la tradition des Lumières. Il faut toujours laisser revenir ce qui est rejeté. A la liberté académique s'attache le droit d'enseigner aussi le plaisir, à la rigueur démonstrative il faut mêler la signature, le nom propre et le "je", au travail scientifique il faut associer le désir, qui est partie prenante du champ investi.

 

4. Une œuvre qui incorpore ses bords en les travaillant méthodiquement.

Jacques Derrida ne cesse de jouer sur la présentation et l’organisation interne de ses livres : texte sans préface ou composé uniquement d’une préface (ou d’un post-scriptum), juxtaposition de plusieurs textes hétérogènes, textes composés d’un nombre symbolique de paragraphes renvoyant à un aspect de la thèse envisagée, etc. Cette façon de faire, non dénuée d’humour, fait signe à ce qu'il appelle le Hors livre. Mais qu'est-ce exactement que ce "Hors livre"?

Parmi les bords, il y a celui qui sépare l'"oeuvre" de "la vie". Jacques Derrida explique que ce bord-là n'est pas neutre, il est porteur d'une force, d'une dynamique. N'étant pas indivisible, il bouge, il déplace, il est déplacé, il est pris par le mouvement de la différance. La question de la biographie d'un auteur (ou de son autobiographie) se pose à partir de ce bord instable où l'oeuvre n'est jamais indépendante de la vie, ce parergon qui continue à se transformer bien après la disparition de l'auteur. S'il y a un concept d'oeuvre chez Derrida, il est inséparable de ce bord.

S’il n’y a pas de hors-texte, d’autres extériorités, non prévues, opèrent et viennent enrichir, autrement, le concept d’œuvre.

 

5. Une suite de « coups » - non dépourvus de préméditation

A propos d'Antonin Artaud in Artaud le Moma (conférence de 1996 publiée en français en 2002), Jacques Derrida développe la problématique du "coup". S'il s'est autant soucié d'Artaud, c'est peut-être parce que son œuvre à lui (Derrida) est porteuse de la même ambigüité. Chacun de ses textes est un acte de jeu, un coup (de pied) dans la fourmilière de la philosophie. Ce coup n'est pas jeté au hasard. Il est rigoureusement calculé, et pourtant ses effets sont imprévisibles (incalculables). On peut en dire autant (1) du concept d'œuvre, (2) du corpus derridien en tant qu'il ne cesse de s'auto-affecter, de s'auto-détruire, (3) des difficultés de lecture ou des attaques des universitaires qui ont cherché à l'exclure ou à l'expulser hors du champ académique (mais notons que, au final, ils n'y sont pas parvenus).

 

6. Une adresse généralisée à la singularité de l’autre

Quel que soit le thème de son discours, Jacques Derrida désire toujours s’adresser, en premier lieu, à la singularité de l'autre. Cela vaut pour la justice, le don, le pardon, l'hospitalité, etc... Chaque fois que la déconstruction est engagée, dit-il, elle s'inscrit dans cette pensée de la singularité (une certaine date, un certain idiome, une conjonction particulière, un schibboleth, un mode de survie lui-même absolument singulier). Toute œuvre digne de ce nom, qu'elle soit graphique, philosophique ou poétique, est soumise à ce traitement.

 

7. Une œuvre qui tend à contrôler absolument la trace qu’elle laisse venir

Comme on l’a vu, laisser venir la trace est une nécessité structurelle, une contrainte interne de l’écriture, et aussi une injonction éthique, voire politique. Dans sa pratique d’écriture, Jacques Derrida ne tend-il pas à soumettre tout son corpus à son intention initiale ? Y a-t-il quelque chose qui échappe à sa maîtrise ? D’un côté, on pourra répondre que, structurellement, son « vouloir-dire » est mort et enterré. Mais d’un autre côté, tout le corpus s’organise autour d’une implicable rigueur théorique.

Cela conduit à rechercher l’ « autre trace », où toute cohérence, y compris aporétique, finit par faillir; où toute archive résiste.

 

8. Une « valorisation » d'un secret toujours encrypté

Derrida affirme le principe éthico-herméneutique selon lequel un secret, par essence, est indéchiffrable et ne peut que le rester. Son corpus est ce qu'il est, on peut toujours l'interroger mais il ne répond pas. Et pourtant :

a. Le signataire invite avec insistance (et s’invite lui-même) à le déchiffrer (« invitation » devant être ici pris au sens de la visitation inconditionnelle).

b. Il en fait une valeur. N’introduit-il pas une nouvelle hiérarchisation entre ce qu’il faut respecter (car cela relève du secret) et ce qu’on a le « droit » d’interpréter (ce qu’il n’hésite jamais à faire y compris lorsqu’il lit des poèmes) ? Un critère d’ « ovralité » (si l’on peut oser ce néologisme). N’est œuvre que celle qui ne trahit pas le secret pourrait s’ériger en nouvelle prescription, en nouveau critère d’appartenance au champ de l’art.

 

9. Une œuvre aporétique, mais rigoureusement structurée.

Au bord de l'œuvre, les règles d'écriture sont travaillées par des apories.

Dans la logique de la déconstruction, les « exigences » du concept d’œuvre sont aporétiques. Elles engagent dans des séries de doubles injonctions qui entretiennent la déconstruction. On retrouve cette exigence dans le corpus derridien - autre critère qui pourrait donner lieu à un nouveau genre de classement hiérarchique. L’aporétique ouvrirait alors à un nouveau classicisme.

 

10. La tâche derridienne : « Je dois » faire une œuvre.

Au fond, que veut faire Jacques Derrida? Quelle tâche s'impose-t-il à lui-même [et à nous par la même occasion]? On pourrait dire : "Tu dois faire une oeuvre", si cet impératif lui était spécifique. Mais il ne l'est pas. "Tu dois faire une oeuvre" est une injonction qui s'impose à tout philosophe, même s'il n'a rien écrit ni rien laissé à la postérité. C'est même peut-être la seule injonction qu'aucun philosophe ne peut refuser de prendre à son compte. L'originalité de Jacques Derrida n'est pas là. Elle est dans l'extension pour laquelle il milite ("extension" est un terme largement utilisé dans "Du droit à la philosophie"), une extension qui s'étend à tous (comme la supplémentarité s'étend au supplément), à toutes les époques et à tous les champs. S'il faut déconstruire, c'est pour qu'aucun critère de légitimité ne limite le "Tu dois faire une oeuvre". Puisque tu dois faire une oeuvre (au sens du concept d'oeuvre), c'est que tu dois laisser opérer la différance de l'autre.

Ce n'est pas Jacques Derrida (la personne) qui m'invite à faire une oeuvre, c'est son corpus.

 

11. Une alliance qui ne peut être honorée que par l'autre.

Comme Niezsche, Jacques Derrida s'est accordé (à lui-même) un certain crédit. En parlant en son nom propre, en disant "je" ou "moi", il n'a pas seulement fait acte d'autobiographie au sens classique (la pratique testamentaire, textuelle), il a conclu avec lui-même, en tant que vivant, une alliance dont l'essentiel est resté secret. Son insistance à dire "je" en appelle à d'autres pour que, en disant "je" eux aussi, dans une résonance particulière où ils l'entendent parler (otobiographie), ils honorent, par un nouveau contrat, cette alliance. C'est une question d'oreille, d'oreille inconsciente, probablement, plutôt que d'oreille fine. Au bord de son corpus, en un lieu invisible, inaccessible, disparaissant, une performativité inouïe qui en engage plus d'un à sa suite, est mise en œuvre. Ainsi la promesse de déconstruction est-elle aussi promesse d'un don, le don d'une vie qui ne serait ni généalogique, ni biologique. A partir de cette écoute, ce pas au-delà, cette décision sur le "je" de la signature derridienne, d'autres institutions pourraient surgir.

Le corpus de Jacques Derrida invite chaque lecteur à inventer la signature avec laquelle il mettra, lui aussi, en oeuvre son concept d'oeuvre.

 

 

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Propositions

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Le corpus derridien ne se rassemble jamais en totalité; chaque lecture en invente et circonscrit les limites

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En usant de sa liberté académique, Jacques Derrida propose une certaine démonstration autobiographique; il y prend un plaisir qu'il souhaiterait enseigner

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Il y a du mal à vouloir réduire la vie à l'objet scientifique de la biologie ou de la biographie, car elle ne fait pas face à la mort : avec son désir, elle est partie prenante du champ investi

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L'autobiographie derridienne, c'est ce qui aura fait qu'elle n'aura pu être faite : un retrait du "biographique", ce lieu introuvable, cette mère, ce réceptacle

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Par le néologisme "otobiographie", Jacques Derrida nomme la nécessité d'engager l'"entendre-parler" de l'oreille, avec ses différences, dans la structure testamentaire du texte

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L'otobiographie, c'est que c'est seulement quand, avec retard, l'oreille de l'autre entend "ma" signature (hétérobiographie), que le contrat autobiographique a lieu

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A la distinction entre "oeuvre", "avant-oeuvre", "hors-l'oeuvre" et "hors-la-loi de l'oeuvre", l'archive résiste

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L'énigme de l'autobiographie qui engage un nom, une signature, tient au retour de différences de forces qui, disloquant l'"autos", ne se laissent pas saisir par une pensée de l'être

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Nietzsche a mis en jeu son nom - ou mis en scène sa signature - pour faire de tout ce qu'il a écrit de la vie ou de la mort un immense paraphe biographique

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Chaque fois qu'un vivant déclare "moi", "je", "je vis", il signe avec lui-même un contrat secret, inouï, il s'ouvre un crédit, une alliance cryptée qui ne peut être honorée que par l'autre

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Le récit autobiographique de "ma vie" ne tient en place que par le retour de l'alliance, le "oui, oui" donné au don de la vie en un lieu qui n'a pas lieu, sur une bordure disparaissante

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[Par son oeuvre singulière, Jacques Derrida promet un événement qui en engage plus d'un à sa suite : la mise en oeuvre d'une performativité inouïe]

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Le "pas au-delà", c'est qu'une signature n'est effective que pour des morts, ou pour d'autres vivants à venir qui décident de ce que je suis, y compris mon sexe

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Dans la différance entre le "je" auto-bio-graphique, le "je" allo-thanato-graphique et le "je" otobiographique de certains noms, peuvent surgir de nouvelles institutions du "oui"

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[Traduire un poème, c'est témoigner d'une rencontre, d'une éthique du rapport à l'autre, où chaque fois s'invente un nouvel idiome, unique]

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L'oeuvre d'un auteur (son corpus) et sa vie (son corps) sont traversées par la force et la dynamique d'un bord - qui n'est jamais indivisible

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[La querelle entre Giorgio Agamben et Jacques Derrida, ou : "Comment protéger les bords de l'oeuvre?"]

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[Ce qui nous interpelle dans le corpus derridien, c'est ce qui ne répond pas]

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Jacques Derrida n'a jamais cessé de penser l'"oeuvre" : comme mot, notion, concept, principe ou acte performatif

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