Dans cette conférence dont le thème est "Comment vivre ensemble?", prononcée en 1998 au XXXVIIème Colloque des intellectuels juifs de langue française, Jacques Derrida laisse entendre que, entre Juifs, la question du "vivre ensemble" se pose avec une acuité particulière. Certes il ne peut y avoir en général, de "vivre ensemble", car 1/ il n'y a de "vivre" qu'au singulier, 2/ s'il est déjà si difficile d'être ensemble avec soi-même, que dire d'un vivre ensmble avec les autres. Pour ces raisons et d'autres, il est impossible de vivre ensemble. Prescrire qu'"Il faut vivre ensemble", c'est, en général, commander l'impossible. Dans le cas particulier des Juifs, il s'ajoute à cela quelque chose d'étrange. Malgré les différences, les divisions, malgré l'indécision qui affecte les appartenances de chaque Juif, il existe entre eux une certaine modalité de proximité. Chacun trouvera des mots pour cela, et ceux de Derrida sont les suivants : "Si je me fie à ce qui demeure pour moi irrécusable et indéniable, à savoir un "je suis juif", non pas "je suis d'abord juif", mais "je suis déjà et depuis toujours juif et je l'assumerai à tout prix", cette expérience de l'irrévocable a toujours toléré, voire exigé une incertitude infinie sur ce que peut vouloir dire et engager un "vivre ensemble" dans une communauté juive - et d'abord avec soi comme juif et avec soi en général".

Juifs du Caucase (date inconnue).

Malgré l'impossibilité du "vivre ensemble", Jacques Derrida affirme que quelque chose a été décidé "pour nous bien avant nous" (Avouer - l'impossible, in Le dernier des Juifs, p23). Donc, malgré l'absence de "vivre ensemble", et malgré l'incertitude dans laquelle nous sommes sur l'origine de cette croyance, nous disons quand même "nous".