Cette formulation tend à expliciter ce que Jacques Derrida appelle un rêve énoncé vers la fin de la Onzième séance du séminaire La bête et le souverain, lequel rêve est repris au début de la Douzième. Elle pourrait être prolongée par : "mais elles ont [ces apories] toujours été là, depuis le commencement et avant même le commencement". Rêve de quoi? Du paradis, de sa mémoire, de sa promesse, de sa félicité absolue et aussi de la catastrophe sans retour qui l'accompagne. Rien de très original si l'on évoque l'interprétation traditionnelle de la bible avec son péché originel, cette interprétation que Lacan, dans une citation donnée un peu plus loin, qualifie de crétinisante.

Mais le lieu du crétinisant, de la bêtise, pour Derrida, c'est ce lieu aporétique qu'il qualifie ailleurs de khôra, un lieu d'avant le commencement, d'avant la parole, d'avant la logique, un lieu qui n'a pas d'essence (p409), n'est rien (comme la souveraineté), où les contradictions, les injonctions doubles, triples et paradoxales peuvent coexister, à l'abri de la curiosité classificatoire des hommes de science et des psychanalystes façon Lacan. En ce lieu, les deux mots grecs pour dire la vie, zôê et bios, qui ont donné en français zoologique et biologique, ne sont pas distinguables. La bête et le souverain sont déjà deux, et l'un commande déjà à l'autre (p416).