Dans chacun des quatre textes littéraires que Büchner a écrits avant de mourir à l'âge de 24 ans, on peut lire une interrogation sur l'art. Chaque fois Büchner évoque le thème de la marionnette. Il ne faut pas, pense-t-il (Büchner, bien sûr, pas Celan qui prend une position différente), réduire l'art à un jeu de pantins. Il doit s'inscrire dans la vie. Mais cette insistance est paradoxale. Peut-il y avoir de l'art, lit-on en filigrane, sans la dimension de la marionnette [c'est-à-dire de l'artefact, de la composition]? Dans son texte inachevé intitulé Lenz, Büchner décrit le spectacle merveilleux de deux jeunes filles se peignant mutuellement, et ajoute : "On voudrait être une tête de Méduse pour pouvoir changer en pierre un pareil groupe et appeler les gens pour le voir". Mais alors, si le regard terrifiant de la Méduse s'impose à celui qui se tourne vers l'oeuvre d'art, celle-ci peut-elle se soustraire à l'univers de ressorts et de papier mâché, l'univers fabriqué de la marionnette? Entre le souci du présent-vivant et la sortie hors de l'humain, la tension est irréductible, et [par conséquent, si l'on en croit Paul Celan dans sa conclusion et non plus Büchner], il se pourrait que le chemin de l'art soit, peut-être, impraticable ou impossible.

Dans Le Méridien, la relation entre poésie et art reste ambiguë. Si l'art est un arrangement de figures, de formes, de tropes, alors la poésie ne s'y réduit pas, elle va au-delà de l'art. Le poème nous conduit sur un chemin solitaire, secret, qui mène à la rencontre d'un autre, d'un tout Autre. Et l'art? Ce n'est pas simple. Quand, dans La mort de Danton, Camille défend un point de vue proche de celui de Lenz (l'art doit s'inscrire dans la vie), sa femme Lucille s'en détourne. Elle préfère ne pas l'entendre et se livrer à une provocation en criant "Vive le roi!" Ce double aspect de l'art, qui laisse Camille sceptique (Ah! l'art, dit-il), est ce qui intéresse Celan dans la poésie.