Pour les Grecs (jusqu'à Epicure et Lucrèce), se révolter contre la nature ou contre la création en général aurait été inimaginable, démesuré. Bien qu'il soit lui-même un demi-Dieu, Prométhée ne se révolte que contre Zeus. Oedipe subit les forces du destin, tandis qu'Antigone invoque celles de la tradition. Il ne peut y avoir de lutte générale des hommes contre Dieu, ni du bien contre le mal, ni de l'innocence contre la culpabilité, ni de la justice contre l'injustice. Une révolte ne peut se concevoir que contre un dieu personnel, créateur et responsable de toutes choses, auquel on puisse demander des comptes. Avec Caïn, la première révolte coïncide avec le premier crime; c'est contre le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob qu'elle s'exerce. En suscitant un intercesseur entre les hommes et Dieu, le christianisme adoucit la figure de ce Dieu terrible. On ne peut pas se révolter contre un Dieu de douleur et de souffrance, mais dès que cette figure s'affaiblit, les révoltés se multiplient. C'est ce qui s'est produit au 18ème siècle avec la pensée libertine, du curé Meslier à Voltaire et au marquis de Sade, le révolté absolu.