Albert Camus distingue la révolte de l'esclave, qui s'exerce à l'intérieur de son état (pour exiger, à l'encontre de son maître, que sa valeur soit reconnue) de la révolte de l'homme qui se dresse contre la condition qui lui est faite en tant qu'homme. Au nom du principe de justice, le révolté métaphysique réclame l'unité d'un monde brisé. Il dénonce une contradiction qui fait régner le désordre et le crime. Contre le mal, la souffrance de vivre et de mourir, il réclame un ordre meilleur. Il se fait blasphémateur, dénonce en Dieu le scandale ou bien exige de parler avec lui d'égal à égal. Il n'est pas athée, car il pose l'existence de celui qu'il conteste; mais il l'entraîne dans sa propre humiliation, dans la vanité de son pouvoir (qui équivaut à sa condition médiocre). Il subordonne la stabilité éternelle au consentement des hommes, ne réclame justice que pour prononcer la déchéance de Dieu.

Alors que, dans la tragédie grecque, Prométhée ne se révolte que contre l'un des dieux (Zeus), l'insurrection métaphysique s'en prend à la création toute entière. Elle ne fait pas que contester une situation particulière, elle s'engage dans une lutte universelle entre le mal et le bien. Le révolté s'engage dans une lutte qui aurait semblé démesurée aux Grecs. Il aboutit à un effort désespéré pour nier la soumission et fonder l'empire des hommes.