En disant "non", l'homme révolté affirme l'existence d'une frontière. Il ne peut plus se taire devant l'injustice. Ne cédant pas au désespoir, il affirme un jugement, un désir. Il n'est plus possible d'attendre ni d'accepter la domination. Il faut parler, faire face, avancer d'autres valeurs, résister. Ayant pris conscience d'un bien auquel il s'identifie, il veut être reconnu, salué, respecté. Il n'accepte plus la déchéance, et même s'il devait se sacrifier, il estime que le bien qu'il appelle de ses voeux déborde sa propre destinée. En se dressant contre l'ordre établi, il ne se défend pas seulement lui-même, mais aussi tous les autres. Je me révolte, donc nous sommes, dit Camus.

La révolte implique une part d'égoïsme, mais elle le déborde. On ne se révolte pas pour un idéal abstrait, mais au spectacle de l'oppression des autres. Alors que le ressentiment se produit en vase clos, comme une sorte d'auto-intoxication impuissante et néfaste, la révolte "fracture l'être et l'aide à déborder", elle libère une surabondance d'activité et d'énergie. Le révolté n'envie pas ce qui appartient à l'autre, il défend ce qu'il est, veut faire reconnaître quelque chose qu'il a déjà et dont il tient à préserver l'intégrité. Il exige une dignité commune à tous, refuse l'humiliation pour lui-même sans la demander pour l'autre.

Pour qu'il y ait révolte, il faut un homme informé, qui possède la conscience de ses droits - des conditions plus fréquemment remplies dans la culture occidentale - et moins fréquemment dans les sociétés sacralisées. Plus on attache de l'importance à la notion d'homme, plus il y a possibilité de révolte