Certains intellectuels sont allergiques à la technologie. Si le peuple est perpétuellement mineur, pensent-ils, c'est parce qu'il est manipulé par la radio, la télévision, les médias ou l'Internet. Ces technologies, soumises à des industries de programmes, contribuent au formatage des esprits et à la perte d'esprit critique. Mais c'est négliger que les mêmes technologies transforment en profondeur la vie politique. On l'a vu lors de la campagne d'Obama (2008) ou lors des révoltes arabes (2011). Elles facilitent une nouvelle circulation des idées et des opinions qui renouvelle le désir de démocratie - ce désir que le peuple, selon les démophobes, serait incapable de partager. Selon Marc Crépon, la technologie est double : elle suscite à la fois des possibilités singulières et des répétitions incontrôlées, elle est une source de différence et aussi un abêtissement. Les technologies numériques font vaciller la domination des moyens de diffusion traditionnels (télévision, radio), mais elles sont aussi - comme ces médias - porteuses de rumeurs, de fantasmes susceptibles de déclencher des peurs et des réactions passionnelles. On peut comparer leur ambiguité à celle de la démocratie elle-même. Il n'est donc pas étonnant que les technophobes, souvent, soient aussi démophobes.

La situation n'est guère différente pour les régimes dictatoriaux. D'une part, ils font tout pour maîtriser l'Internet et la circulation de l'information qu'ils perçoivent comme un danger; mais d'autre part, ils doivent pour cela, eux aussi, développer des technologies au service de leur pouvoir.