Dans certaines espèces, la mante religieuse femelle dévore le mâle pendant ou après la copulation. Cet insecte est devenu un symbole, qu'on trouve dans de nombreuses oeuvres surréalistes des années 30. Une de ses particularités est de pouvoir continuer à fonctionner (y compris marcher, s'accoupler, pondre ou mimer la mort) même après avoir été décapité. C'est ce côté machinique qui intéresse les surréalistes. Un organisme dépend de sa capacité à maintenir sa propre différence, la frontière qui l'enveloppe et le sépare des autres. Mais l'animal qui se confond avec son environnement est dépossédé de cette frontière. Il est tenté de fusionner avec l'espace extérieur. La distinction des formes cède devant l'informe. Certains photomontages surréalistes jouent sur ce type de projection [par exemple Portrait dans un miroir, de Raoul Ubac (1938) ou Main et femme, de Maurice Tabard, de 1929]. Le corps humain (à la place de l'insecte) est dépossédé de ses privilèges. Il n'est plus qu'un lieu parmi d'autres. Comme l'écrit Caillois, il ne sait plus où se mettre. Réduit à un point de lumière, il n'est pas celui qui voit, mais celui qui est vu; il est pris dans les mailles de la représentation comme dans un labyrinthe dont il ne maîtrise pas les bornes.

Les photomontages surréalistes étant protégés par la législation sur les droits d'auteurs, j'ai choisi de les remplacer par cette photographie inquiétante de mante religieuse.

En 1935, Roger Caillois a écrit un essai sur la mante religieuse, et un autre sur le phénomène du mimétisme. Ces écrits ont eu un écho considérable dans les milieux psychanalytiques; Jacques Lacan s'en est servi pour élaborer son concept du stade du miroir, développé dès 1936, et reprendra plus tard un schéma qui reprend en partie le dièdre de Caillois.