Le système actuel de datation, basé sur la date de naissance du Christ, semble prendre appui sur des idées chrétiennes, mais c'est une fausse impression. En effet, dans le christianisme, l'humanité a un commencement et une fin. Le monde a été créé à une certaine date et finira par périr un jour ou l'autre. Mais la réforme chronologique qui a conduit au système moderne de datation n'a rien à voir avec ces présupposés. Son objectif était de fixer des dates aussi exactes que possibles pour tous les événements qui pourraient arriver. La date-pivot importe peu; ce qui compte, c'est la conviction que l'histoire de l'humanité s'étend en arrière jusqu'à un passé infini, et en avant jusqu'à un avenir tout aussi infini. Ce dispositif élimine les notions de commencement et de fin.

Ce qui ressemble à une christianisation de l'histoire du monde est en réalité le triomphe de l'histoire séculière. Les spéculations religieuses sur le temps et les espérances eschatologiques sont éliminées au profit du processus temporel lui-même. Il n'y a plus d'autre livre sacré que l'histoire, qui peut être présentée comme une continuité sans rupture.

L'avantage de ce concept est que la notion de fin (pour l'humanité) est pratiquement inconcevable. Son inconvénient est que la permanence est confiée à un processus en devenir, différent d'une structure stable (p101). Le processus immortalisant est devenu indépendant des structures politiques locales : il enveloppe le tout de l'humanité.